Le 20 juin 2022, j’ai participé à un podcast nommé User Story avec Anaïs Sparesotto pour un épisode nommé « L’accessibilité web, un droit ». Ce podcast est réalisé par Marie Dulin et Benjamin Poiraud. L’épisode est sorti le 21 octobre 2022 et dure 1 heure 13.
Marie et Benjamin ont fourni une transcription textuelle de ce podcast afin que les personnes sourdes ou malentendantes puissent également y avoir accès. Malheureusement, le podcast n’ayant pas (encore) de site web dédié, celle-ci a été partagée sur Notion qui est un site totalement inaccessible (pas merci Notion !). J’ai donc demandé si je pouvais l’héberger de façon accessible sur mon blog ; ce qui a été accepté. J’ai relu et restructuré le contenu.
Vous pouvez donc :
- Télécharger directement l’épisode en MP3 (66,8 Mo)
- Et retrouver ci-dessous la transcription textuelle de l’épisode !
Définitions préalables
Vous trouverez dans cet épisode des mots qui se rapportent à l’agilité. Voici ces mots et leurs définitions simplifiées :
- Agile/agilité : c’est une méthode intégrant des pratiques qui, selon Wikipédia,
mettent en avant la collaboration entre des équipes auto-organisées et pluridisciplinaires et leurs clients. Elles s’appuient sur l’utilisation d’un cadre méthodologique, léger mais suffisant, centré sur l’humain et la communication. Elles préconisent une planification adaptative, un développement évolutif, une livraison précoce et une amélioration continue, et elles encouragent des réponses flexibles au changement
; - Product manager (PM) : en français, on dit « chef·fe de produit ». Selon Welcome to the Jungle, son rôle consiste à
accompagner un produit ou une gamme de produits de sa conception, jusqu’à son arrivée sur le marché
; - Product owner (PO) : personne qui recueille le besoin auprès du ou de la cliente puis rédige les User Stories qui seront développées par l’équipe de développement. Ce métier n’existe que dans le cadre des projets développés selon les méthodes agiles ;
- User story (US) : ce sont des histoires utilisateurices. En gros, ce sont les spécifications fonctionnelles mais découpées par fonctionnalité souhaitée s’appuyant sur un besoin utilisateurice précis.
Introduction (à 0 minute)
— Benjamin : Bienvenue sur User Story. Nous sommes Marie Dulin et Benjamin Poiraud, product managers et product owners freelance. Chaque mois, nous vous faisons entrer dans nos discussions autour du produit, du design et de la tech.
— Marie : Product managers, designers, développeurs, entrepreneurs ; à chaque épisode, nous invitons deux personnes aux parcours et quotidiens variés pour creuser un sujet et recueillir des conseils pratiques.
Le but : vous apporter un regard nouveau sur vos réflexions, tester de nouvelles méthodes et vous permettre d’évoluer dans votre métier. Bonne écoute !
— Marie : Hello Benjamin.
— Benjamin : Salut Marie. Aujourd’hui, nous accueillons Anaïs Sparesotto et Julie Moynat. Bienvenue à toutes les deux dans User Story.
— Julie : Salut.
— Anaïs : Salut, merci.
— Benjamin : On est super contents de vous accueillir pour ce sujet qui va traiter de l’accessibilité web. Juste avant de démarrer, on a notre petit rituel…
De ton côté, toi, Julie, tu es consultante en accessibilité et tu développes des sites web accessibles avec Copsaé. T’as aussi un blog dans lequel tu parles de l’accessibilité, qui s’appelle La Lutine du web.
Bienvenue parmi nous, Julie. Est-ce que tu peux, pour qu’on puisse mieux te connaître, te définir en trois/quatre adjectifs et nous décrire quel est le principal enjeu de ton métier aujourd’hui ?
— Julie : Du coup je suis allée un peu poser la question pour voir. Il paraît que je suis généreuse, consciencieuse et combative. Voilà. Et donc concernant du coup le principal enjeu de mon métier… bah, c’est de faire en sorte que le droit fondamental des personnes handicapées à l’accessibilité du web soit respecté.
— Marie : Clair et concis. Merci Julie.
Et Anaïs, toi, tu es développeuse back-end chez Toovalu, mais aussi co-fondatrice de No-code for good, qui met les outils no-code au service des entreprises sociales et solidaires.
Pourrais-tu toi aussi te présenter, définir l’enjeu principal de ton métier et peut-être trois/quatre adjectifs qu’utilisent tes proches pour te caractériser ?
— Anaïs : Ouais, beh du coup, un petit peu comme Julie, je suis allée poser la question tout à l’heure à mes collègues de travail. Ils avaient cinq minutes, même un petit peu moins, pour donner quatre adjectifs qui me définissent. Ce qui est ressorti, c’est que je suis curieuse, dynamique, touche-à-tout… et un poney rose qui court partout.
(en riant) Moi, je trouve que c’est pas mal pour le dernier. (rires) Je pense que c’est celui qui me représente le plus : je suis un poney rose qui court partout.
— Marie : Alors on voudrait bien savoir ce que c’est un poney rose qui court partout ?
— Anaïs : Parce que je… le fait d’être très curieuse. Dès qu’on parle d’un sujet que je ne maîtrise pas, que je ne connais pas, je vais foncer dedans. Et je vais vouloir aller très loin, très vite. Et du coup, je risque de perdre mes collègues, et c’est pareil pour ma famille : si on lance un sujet à table, je vais faire de suite des recherches et je prépare une présentation dans le quart d’heure pour mettre tout le monde au niveau. Voilà donc je suis un poney rose qui sort partout et parce que je mets des licornes de partout.
— Benjamin : Donc si on lance un sujet pendant l’enregistrement, tu vas nous trouver un truc à la fin, tu vas nous faire une petit pres’…
— Anaïs : Ah ben surtout, surtout avec Julie en face, ou une de mes principales ressources, en fait, c’est son blog… Il y a de fortes chances que j’aille faire des recherches après pour avoir plus d’infos, oui.
— Marie : On va avoir un plan : 1, petit a) petit b). (rires)
Définitions : qu’est-ce que l’accessibilité web ? Qu’est-ce que ce n’est pas ? (à 3 minutes 34)
Qu’est-ce que l’accessibilité ? Comment on s’y est intéressées ? (à 3 minutes 34)
— Benjamin : Bon, en tout cas, on est là avec vous aujourd’hui pour parler de l’accessibilité web. Comprendre ce que c’est, comment on peut aussi l’intégrer dans nos équipes et dans les produits qu’on réalise. Et aussi, comment diffuser ce que c’est que l’accessibilité, en quoi c’est important, et ce auprès des profils qu’on peut rencontrer et que ça soit des CEO, des développeurs, des product managers ou des product owners.
Du coup, pour commencer. Est-ce que l’une d’entre vous, pourquoi pas Julie, par exemple ; est-ce que tu veux bien introduire le sujet ? Qu’est-ce que c’est pour toi l’accessibilité ? Puis comment, un peu, tu es tombée dans cette marmite ?
— Julie : Déjà sur les chiffres, y a rien de fiable, vraiment aujourd’hui. On dit aussi qu’il y a 15 à 20% de personnes handicapées dans le monde, mais en vrai, c’est des estimations tout ça. Après, pour moi, l’accessibilité, du coup, c’est permettre aux personnes handicapées d’accéder à toutes les informations et d’utiliser tous les services. Alors si je parle de l’accessibilité web, comme n’importe qui d’autre, on peut accéder à ces informations et ces services. Ça veut dire qu’on n’a pas de barrière pour y accéder.
Il y a des lois et des normes, des référentiels qui permettent de mettre en œuvre ce sujet-là et de le rendre obligatoire, parfois, pour certains organismes.
— Marie : Et comment tu es arrivée aussi à t’intéresser à l’accessibilité web ? Comment c’est devenu un peu, le point central aussi de ton métier aujourd’hui ?
— Julie : En fait, c’est en faisant ma veille que j’ai découvert ce sujet-là. Donc, je lisais des articles de plus en plus sur le sujet et puis, un jour, je suis tombée sur un article qui expliquait techniquement comment on pouvait améliorer des choses assez facilement. Alors je dis pas que l’accessibilité, c’est facile mais c’est que là, cet article présentait des choses faciles à mettre en place. Et donc, j’ai commencé comme ça et du coup après, j’ai demandé une formation à mon entreprise suivante. Et j’ai fini par l’obtenir du coup en 2016. Et voilà.
— Marie : Très claire. Et du coup, aujourd’hui, tu en es où avec Copsaé et qu’est-ce que tu fais concrètement au quotidien ?
— Julie : Où j’en suis ? Bah, j’en suis au tout début, puisqu’en fait on a lancé cette activité-là, Loriane Buffet et moi en octobre 2021. C’est tout récent. Et du coup on fait des audits d’accessibilité, on accompagne aussi certains projets pour que les sites web soient développés de façon accessible dès le départ. Et on réalise des sites web directement accessibles aussi. Tant qu’à faire, autant commencer dès le départ. (rire)
— Marie : Et toi, Anaïs, du coup, quelle est un peu la place de l’accessibilité chez Toovalu, en tant que développeuse back-end, quelle est la place que ça prend et comment tu t’es intéressée au sujet ?
— Anaïs : Alors, moi, je m’y suis intéressée il y a pas très, très longtemps, parce que y a encore un an et demi, pour moi, l’accessibilité c’était uniquement au niveau des bâtiments : les sanitaires, les places handicapées devant un centre commercial, et l’accessibilité ça se résumait à ça. Pour moi, un handicapé n’allait pas sur internet : c’est un environnement hostile, il ne peut pas du tout y aller. Il y a aucun intérêt pour lui qu’il y aille. Donc déjà moi, je tombe des nues il y a un an et demi, quand je passe la certification Opquast, ou là, je découvre des notions d’accessibilité. Et je découvre que ce n’est pas parce que je mets une alternative textuelle sur une image et que je vais faire uniquement ça sur le site web que je développe, que je suis accessible. Il y a un an et demi, c’est un petit peu ce que je crois.
Puis, là, je commence à m’y intéresser un peu plus. Je tombe sur un super blog qui s’appelle La Lutine du web à ce moment-là. Et vraiment je me dis : waouh, c’est une mine d’informations, mais il y a de tout. Et je n’ose même plus aller voir ce qui se passe ailleurs à ce moment-là, je regarde que La Lutine du web.
Et un jour, je déménage. Je fais 900km, je me retrouve à Nantes. Trois mois après mon arrivée à Nantes, je vois qu’il y a une table ronde qui est organisée à deux rues du bâtiment dans lequel je travaille et qui est présentée par celle qui a créé La Lutine du web. Donc, je me suis jetée sur cette table ronde à ce moment-là pour aller voir qui était La Lutine du web, qui se cache derrière ce pseudo.
Après, je suis allée un petit peu plus loin, où j’ai réalisé une formation avec Access42 pour développer des sites web accessibles. Parce qu’au moment où je fais la table ronde de Julie, je me rends compte qu’il faut vraiment être formée à l’accessibilité. Ça n’est pas inné, ça n’est pas uniquement une petite liste de bonnes pratiques. Non, il y a beaucoup de choses à prendre en compte. Il y a beaucoup de choses à mettre en place. Et il faut pouvoir se former. Donc ça fait un an et demi maintenant que j’y vais un peu plus loin dans ce que j’ai appris.
Et pour l’embarquer chez tout Toovalu, quand je suis arrivée, il y avait déjà des développeurs, dont un qui était sensibilisé, et même plus que sensibilisé, à l’accessibilité depuis une quinzaine d’années. Et lui, en fait, avait un peu baissé les bras chez chez Toovalu pour l’accessibilité, parce que ça prenait pas, parce qu’il était toujours confronté à des : non, on n’a pas le temps, on s’en fout. Y’a pas d’handicapés qui utilisent notre logiciel, ça ne sert à rien. On n’a pas le temps.
Et en fait, en arrivant, je pense que, il le dit lui-même, ça a été un second souffle, ça a été une motivation supplémentaire pour relancer le sujet. Et là, à la dernière réunion trimestrielle de notre entreprise, un des enjeux et les valeurs de l’entreprise, c’est notre RH qui l’a porté et qui a dit : c’est l’accessibilité web.
Donc là, quand la RH, qui n’est pas familière du web, qui n’est pas familière du numérique, dit que dans les valeurs de l’entreprise, il y a l’accessibilité web, je me dis : c’est pas mal, on a fait quand même une belle avancée en un an dans l’entreprise. Et puis on continue d’avancer, petit à petit. Tout n’est pas parfait, loin de là, mais on avance.
La loi à propos de l’accessibilité (à 9 minutes 50)
— Benjamin : D’après vous, du coup, est-ce que depuis quelques temps… Déjà au niveau de la loi, quelles sont les lois par rapport à ça ? Est-ce qu’il y a des contraintes, des règles et à qui elles s’appliquent ? Pour un peu avoir une vision globale, une vision d’ensemble sur est-ce qu’aujourd’hui je suis, moi, en tant qu’entreprise, concerné par l’accessibilité ?
— Julie : Oui, il y a des lois. Sur l’accessibilité web, la loi principale, ça va être la loi n°2005-102, article 47. Il a été écrit, la première fois, en 2005. Il y a eu un décret d’application qui est paru seulement en 2009. Et, au départ, ça concernait, du coup, les organismes publics qui devaient avoir leur site accessible d’ici 2011-2012. Force est de constater que ça n’a absolument pas marché. L’état du web aujourd’hui est assez catastrophique finalement, en termes d’accessibilité.
Et cette loi-là, du coup, 2005-102 a été revue plusieurs fois. La dernière fois, c’était en 2018… Je crois que le décret d’application, ensuite, était en 2019. Je suis plus trop des dates… Et du coup, maintenant, la loi concerne également, donc, les entreprises privées qui ont un chiffre d’affaires de plus de 250 millions d’euros ; donc, plutôt les grosses boîtes, du coup. Mais ça fait quand même un certain nombre d’entreprises. Et là, normalement en juin 2022, la loi doit être revue parce qu’il y a une directive européenne, en fait, qui impose de modifier cette loi et donc, d’ajouter notamment les sites e-commerce dans les obligations légales. Je ne sais pas encore ce que va donner cette modification de la loi française. On verra… Mais du coup, ça va concerner de plus en plus d’organismes.
— Marie : Il y a une certaine évolution sur la partie juridique, même si elle prend nécessairement pas mal de temps. Nous, on a l’impression que l’accessibilité web, c’est un sujet qui… on en parle de plus en plus ; peut-être aussi parce qu’il y a l’aspect impact… enfin toutes les sociétés à impact, que ce soit social, environnemental, qui prennent de l’ampleur. Et donc c’est un sujet connexe qui est un peu remis en avant sur ce qui est visible, en tout cas pour pour la majorité des personnes qui sont dans le monde de la tech.
Est-ce que, vous, vous avez noté quand même des évolutions, que ce soit positives ou négatives d’ailleurs, dans ce sujet ? Est-ce qu’il y a des initiatives autres que par l’État où tu disais que ça allait doucement, mais par rapport à ce qui était voulu… Mais quelle a été un peu la dynamique ces dernières années et que vous avez pu constater, vous, en tant que praticiennes sur le sujet ?
— Julie : Hum… Du coup, moi, de mon côté, ce que je vois c’est qu’effectivement, ce sujet-là est de plus en plus abordé, mais en fait, il y a beaucoup de personnes qui décident de prendre ce sujet entre leurs mains sans pour autant le maîtriser, sans se former, et qui vont vendre des faux audits d’accessibilité ou des sites soi-disant accessibles alors qu’ils ne le sont pas du tout et que ça se voit comme le nez au milieu de la figure… Donc, aujourd’hui, on a quand même un souci, qui est finalement le fait que, ce métier-là, il a pas de reconnaissance officielle. Donc, c’est-à-dire que n’importe qui peut exercer ce métier-là sans qu’il y ait de preuve que la personne soit vraiment connaisseuse du sujet. Donc ça, c’est un peu le souci.
— Anaïs : Ce que je vois évoluer, c’est que oui, je trouve qu’on en parle de plus en plus. Malheureusement, ce qui m’embête, c’est que souvent, on va confondre accessibilité et ergonomie. En tout cas, c’est ce que je peux entendre dans ce petit réseau, on va dire. Et des personnes qui arrivent, qui entendent « accessibilité » vont penser « ergonomie ». Pour moi, l’ergonomie et l’accessibilité, les deux sont très bien mais ça n’est pas la même chose. Et notamment, avec une de mes collègues de travail, on a présenté une conférence au Web2day qui portait sur l’accessibilité du numérique et un des retours qu’on nous a fait… Donc, on parle de notre outil et des erreurs que l’on a fait en tant que développeurs sur notre outil… Un des retours, ça a été qu’il a eu un benchmark qui a été fait avec nos concurrents sur la partie user friendly du logiciel. Et donc, on est numéro un sur cette partie-là. Et donc, certains nous ont dit : c’est dommage, vous dites que sur l’accessibilité, on n’est pas encore très bon, mais pourtant, par rapport à nos concurrents, on est pas mal
.
Sauf que, non, l’ergonomie, ça ne rentre pas en ligne de compte. Donc, peut-être que d’un point de vue ergonomique, on est bien mais pas d’un point de vue accessibilité. On peut faire mieux, on peut faire plus. Et donc ça, c’est souvent ce que j’entends sur ergonomie et accessibilité. On sait pas trop faire la nuance.
Exemples de mauvaises pratiques d’accessibilité (à 14 minutes 58)
— Benjamin : Petite question : qu’est-ce que c’est qu’un site non accessible concrètement pour une personne en situation de handicap ?
— Anaïs : Après, tout va dépendre du handicap. Mais si une personne, par exemple, utilise uniquement son clavier et donc, va fonctionner avec quelques touches, puisqu’il va fonctionner avec la touche tabulation, entrée, espace, les flèches. Si on a un piège au clavier, donc, s’il y a une partie du site sur lequel on ne peut pas accéder au clavier… Et je vais prendre l’exemple d’un formulaire. Vous avez dix champs. Il y en a un qui n’est pas accessible au clavier. Le formulaire sert à rien. Pour peu que le champ soit obligatoire, la personne ne validera jamais le formulaire.
Ça va être une personne qui est aveugle, s’il y a aucun retour sur des images, sur du contenu, ça ne sert strictement à rien.
Une personne dyslexique, on va justifier le texte… Je suis dyslexique, c’est un enfer, c’est épuisant, c’est lourd. Je passe en moyenne 12 heures sur mon écran. Si tout le monde, si tous les designers ont décidé que le texte serait justifié, je ne pourrais pas travailler 12 heures.
— Julie : Il y en a plein les exemples. Après, il y a aussi une notion de niveaux dans les critères et, par exemple, le texte justifié, on le verra assez peu parce qu’en fait, c’était une règle de niveau triple A (puisqu’il y a trois niveaux : A, double A et triple A). Et, en fait, le référentiel français qui s’appelle RGAA (donc, Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité) ne prend en compte que les critères de niveau A et double A. Le niveau triple A, c’est, en gros, un « bonus » et pourtant, il y a des choses très importantes qui sont dedans. Donc, il y a plusieurs niveaux. Après sur la conformité vis-à-vis de la loi, c’est forcément le RGAA complet, donc les niveaux A et double A qui doivent être pris en compte.
Et oui, sur les problèmes d’accessibilité, on peut parler… On parlait rapidement, avec Anaïs l’autre jour en privé, des problèmes d’accessibilité sur les réseaux sociaux, parce que ça, ça concerne tout le monde, finalement, c’est pas uniquement les dev dans leur travail. C’est aussi une personne dans sa vie personnelle qui va publier un tweet, par exemple, avec du texte en ce que j’appelle du « faux gras » ou du « faux italique ». C’est-à-dire qu’en fait, on ne peut pas mettre en forme les textes sur les réseaux sociaux et du coup, les gens ont trouvé ça « sympa » de détourner l’usage de certains caractères Unicode pour écrire dans des typos, un peu farfelues histoire que leurs messages ressortent un peu mieux visuellement.
Et donc, il y a des générateurs pour ça, on tape son petit texte normal, et puis il ressort en faux gras, en typo script ou autre.
Sauf que, en fait, qui se cache derrière ces caractères-là, ce sont des caractères mathématiques. Donc les lecteurs d’écran, qui sont des logiciels utilisés notamment par les personnes aveugles pour restituer ce qui se trouve à l’écran vocalement, du coup, ça va :
- Soit complètement ignorer ces caractères : donc, en fait, si on écrit une phrase avec un mot en faux gras, il y aura un trou dans la phrase donc la phrase ne sera pas compréhensible. Parfois, c’est tout, tout le tweet en entier qui sera pas lu du tout ;
- Et il y a d’autres lecteurs d’écran qui, au contraire, vont lire chacun des caractères, mais en tant que caractère mathématique, c’est-à-dire que ça va être le nom du caractère lui-même qui sera restitué. Donc, ça veut dire que ça ne lit pas des mots et les personnes ne sauront absolument pas ce qui est marqué dans le message.
Ça, c’est quelque chose, par exemple, qui est très problématique parce que les réseaux sociaux ont décidé que non, on pourra pas mettre en forme les messages. Donc, les gens détournent l’usage de caractères spéciaux pour réussir à faire ce qu’ils veulent, sauf que ça ne marche pas pour tout le monde, quoi.
Il y avait d’autres choses, comme le fait que… je sais pas si vous faites beaucoup sur Twitter… Vous avez peut-être vu que, depuis peu, il y a une fonctionnalité qui permet d’afficher l’alternative des images pour tout le monde. Donc, c’est un petit bouton « alt » qui apparaît en bas des images. On clique dessus et tout le monde peut lire la description, pas seulement les personnes aveugles. C’est vraiment tout le monde qui peut cliquer pour voir la description de l’image.
Et en fait, ça partait d’une bonne idée, parce que, du coup, ça permet aux gens qui se préoccupent de l’accessibilité et de se dire bah, je vais uniquement partager des tweets qui ont bien mis une alternative à l’image
. Sauf que les gens, en fait, ne savent pas ce que c’est une alternative d’image, ne savent pas comment bien l’utiliser. Et du coup, on se retrouve avec des gens qui décident d’utiliser cette fonctionnalité pour cacher des blagues, pour mettre plus de contenu dans leurs tweets parce qu’il y a une limite de caractères donc ça permet d’en ajouter encore plus. Et, du coup, en fin de compte, les personnes aveugles ne savent toujours pas ce qui se trouve dans l’image.
Donc c’est encore un exemple de détournement d’une fonctionnalité qui est censée servir à autre chose. Et ça, c’est vraiment vraiment un problème, on a plein de fois le cas de détournements aussi sur des sites web lambda. Par exemple, des gens qui vont utiliser des titres pour écrire plus gros. Ça arrive constamment donc, on a un gros manque de formations de tout le monde sur l’accessibilité, en fait.
— Marie : Anaïs, tu voulais rebondir ?
— Anaïs : Ouais parce que, en effet, il y a, sur Twitter, les images où il n’y a pas d’alternative ou en tout cas, elle n’est pas pertinente, elle n’apporte rien aux personnes qui en ont besoin pour comprendre le tweet. Mais il y a également un podcast, le fait d’avoir une transcription textuelle.
Par exemple, dans l’entreprise dans laquelle je suis, chez Toovalu, on a déjà une dizaine de podcasts qui sont publiés. Il y a pas de transcription textuelle sur ces podcasts. C’est pas mon métier. C’est pas moi qui fait les podcasts chez Toovalu. Mais par contre, j’ai demandé si je pouvais avoir les droits pour avoir accès au podcast et faire la transcription textuelle en leur expliquant que, en plus de ça, leur ferait peut-être un article de blog ou une présentation sur les réseaux sociaux, et ils pourront dire que, au moins, ce contenu-là, il est accessible. Donc ça, c’est plutôt cool parce que ça a été accepté par Toovalu. Donc je peux avoir les accès aux podcasts.
Et pareil pour les vidéos sur YouTube… YouTube propose de mettre un sous-titrage automatique. Déjà, je trouve c’est quand même une grande avancée que d’avoir un sous-titrage automatique. On a besoin de rien faire si ce n’est que de cliquer sur le bouton « Je veux un sous-titrage automatique ». Mais il faut penser à le retravailler parce que, avec nos intonations en France où on va avoir tendance à partir très bas au niveau de nos phrases, Youtube ne va pas comprendre le début de notre phrase.
Et pareil, si on a tendance à baisser notre intonation en fin de phrase, il ne va pas le comprendre et donc c’est là où il va mâcher les mots et va être mauvais sur sa transcription. Donc, il faut le retravailler. C’est fastidieux, mais ça se fait et ça permet à toutes les personnes d’avoir accès au contenu.
Quand on parle d’une vidéo ou d’un podcast, on peut rassembler énormément de monde sur ces deux contenus-là et pour autant, c’est très peu fait aujourd’hui. Ou alors c’est laissé de façon pas terminée, il nous manque des informations, par exemple sur YouTube, il nous manque des informations. Et les podcasts, il y en a encore trop peu qui ont une transcription textuelle.
— Marie : Très claire.
— Julie : Là, on parle du besoin pour les personnes sourdes ou malentendantes mais sur les vidéos, il y a autre chose, c’est qu’on voit beaucoup des vidéos, alors beaucoup sur les réseaux sociaux aussi, qui sont partagées où en fait il n’y a pas de son, il n’y a pas de paroles, tous les textes sont écrits dans l’image. Et du coup, on se dit bah c’est bien, puisqu’en fait, la plupart des gens regardent les vidéos sans le son, etc.
Oui, mais les personnes aveugles, elles font comment pour avoir accès au contenu de cette vidéo ?
Du coup, ce genre de vidéo-là, en fait, il faut qu’il y ait une personne qui lise les textes, ou alors ça veut dire que pour une transcription textuelle aussi pour les personnes aveugles, parce que toutes les informations sont visuelles, donc il faut les restituer dans un contenu texte et ça, c’est souvent oublié.
On voit beaucoup de médias qui font des vidéos comme ça et qui interviewent des gens tout en ajoutant des petites phrases mais seulement à l’écran, qui ne sont pas prononcées. Donc, du coup, le contenu devient incompréhensible pour les personnes qui ne voient pas l’image.
– Benjamin : Au niveau des différents handicaps qu’on peut rencontrer… on imagine, on voit bien le handicap de la personne qui est aveugle, celle qui ne peut pas taper au clavier. Est-ce que il y a d’autres types de handicaps aussi qui peuvent être, qui sont pas forcément bien adressés dans aujourd’hui, avec l’accessibilité ?
— Anaïs : Le daltonisme… Quand on voit aujourd’hui ce qui se passe avec les couleurs sur le web, autant au début je disais que j’étais un poney rose qui court, autant, là, ça frétille de paillettes, de flashy, de texte qui bouge dans tous les sens, c’est juste horrible. Donc une personne daltonienne, déjà ça va être un peu compliqué de comprendre ce qui se passe parce qu’il y a énormément d’informations où l’information est transmise par la couleur. Sauf qu’il y a beaucoup de personnes aujourd’hui qui ne les voient pas, ces couleurs.
— Marie : Peut-être qu’il y a des handicaps qui sont plus pris en compte que d’autres, peut-être parce qu’il y a des pratiques d’accessibilité qui sont plus simples à mettre en place, ou peut être plus connues ? Typiquement, les alternatives aux images, etc. c’est des éléments qui sont, je pense, un petit peu connus par les développeurs, même s’ils le conçoivent pas forcément comme un élément d’accessibilité, qu’ils ne savent pas forcément bien rédiger, etc. Est-il y a des handicaps qui, aujourd’hui, sont un petit peu mieux pris en compte ?
— Julie : Quand on parle d’accessibilité, on pense beaucoup aux personnes aveugles. Mais dans les faits, c’est pas parce qu’on en parle plus que ce qui est le plus, le mieux pris en compte, en fait.
Il y a énormément de choses à faire dans l’accessibilité, ça concerne plein de handicaps différents et… Mais il n’y a rien… En fait, même tu vois, tu dis les alternatives d’images… Bah oui, c’est quelque chose dont on parle, et pourtant, ben quand c’est fait, souvent, c’est malheureusement mal fait.
D’ailleurs, les alternatives d’images, on se dit beaucoup : oui, bah pour le référencement naturel c’est pareil, on doit mettre des alternatives d’images, du coup, bah, finalement, l’accessibilité sert le référencement naturel, et le référencement naturel sert l’accessibilité
. Mais non, en fait, c’est pas du tout vrai, parce que si c’est pas travaillé ensemble, généralement, on va dans des sens contraire. C’est-à-dire que, pour le référencement naturel, souvent, on va dire que, bah, il faut que l’alternative de l’image contienne des expressions, des mots qui sont dans le texte qui est aux alentours de cette image.
Or, pour l’accessibilité, on s’en fiche. Déjà, si l’image elle est décorative qu’elle n’apporte aucune information, l’alternative devra être vide, donc l’attribut alt
sera vide. Alors que côté référencement naturel, on va plutôt dire : ben non, on veut référencer les images, donc du coup, on va remplir l’alternative
. Et donc, tout ça, ça crée du bruit pour les personnes aveugles au lieu de d’être utile, quoi.
Donc, du coup, des fois, il manque aussi des informations si on a des alternatives qui sont mal rédigées, il y aura pas forcément l’information que contient réellement l’image, etc. Donc ça se répond pas forcément, en fait. Il faut que ce soit travaillé ensemble pour que ça marche vraiment. C’est pas indépendamment, il y a un sujet qui sert l’autre. Ça, c’est pas vrai.
L’accessibilité n’est pas un business ou une opportunité, mais bien un droit (à 27 minutes 53)
— Benjamin : Tout à l’heure, tu disais qu’il y avait, je crois, 96% des sites qui n’étaient pas, qui respectaient pas les normes d’accessibilité… Du coup, là, on se dit peut-être qu’en tant qu’entrepreneur ou responsable de produit, il y a quelque chose à faire pour accompagner et pour aider la transition de ses 96% de tous ces sites.
Est-ce que, aujourd’hui, vous sentez que l’accessibilité, ça peut être un vrai moteur d’opportunités pour les entreprises ? Parce que c’est un sujet qui est encore, comme vous le disiez, toutes les deux pas assez exploité, pas assez développé ? Qu’est-ce que vous en pensez du fait que l’accessibilité soit vecteur d’opportunités pour une entreprise ou pour un business ?
— Anaïs : Alors, je sais que chez Toovalu, aujourd’hui, nous, Toovalu, c’est le fait de mesurer son empreinte carbone pour une entreprise et de venir piloter sa stratégie carbone.
Quand on connaît les objectifs climat et bas-carbone qu’annonce le GIEC, la France, l’Europe, tout le monde, pour moi, ça devient impensable que de laisser de côté 15 à 20% de la population pour mesurer son empreinte carbone et venir avoir sa stratégie bas-carbone. Parce que si on veut avoir ces objectifs-là, il faut qu’on les fasse collectivement, et donc on ne peut pas se passer de 20% de la population.
Donc là, pour moi, chez Toovalu, ça a été un de mes axes. Ça été une de mes approches pour éveiller les consciences et pour faire comprendre que, OK, nous, on a des valeurs ; notre outil, on sait qu’il sert au plus grand nombre, mais le plus grand nombre, c’est avec les handicapés. C’est pas « on verra plus tard, de prendre en compte les handicapés ». C’est un droit. On se doit de le faire.
— Benjamin : T’as bien fait de me corriger. (rire) Et du coup, ça montre aussi… euh… Comment je tourne ma phrase… ? Le fait que, personnellement, je ne suis pas encore assez éduqué à ces notions-là. Et c’est hyper intéressant, justement, d’avoir votre retour, et ne serait-ce que le vocabulaire a vachement d’importance, sur la façon dont on perçoit les choses et comment on peut les exprimer.
— Anaïs : Après, je sais que dans la conférence dans laquelle on a participé, donc avec ma collègue, c’est un des axes qu’on a choisi de proposer en dernier recours pour convaincre. C’était de dire à ceux qui étaient présents : imaginez votre business avec potentiellement 20% de fréquentation supplémentaire, 20% de clics supplémentaires, 20% d’achats supplémentaires. Si votre e-commerce, si votre site qui propose du consulting, qui vous propose de l’accompagnement, est accessible, c’est potentiellement 20% de clients supplémentaires.
— Julie : Est-ce que je peux me permettre de casser cet argument ? En fait, ils existent pas, parce que quand on parle de 15 à 20% de personnes handicapées dans le monde, ça veut pas dire 15 à 20% de personnes handicapées qui ont besoin d’accessibilité numérique. C’est-à-dire qu’il y a des handicaps, par exemple, une personne qui a un handicap au niveau de ses jambes, bon bah à priori, il n’y a pas de soucis pour accéder à son ordinateur, à internet, etc.
En fait, ça a un effet pervers aussi de ramener ça aux personnes valides, parce que ça implique qu’on va parfois développer des choses, des fonctionnalités d’accessibilité, sans savoir à qui ça sert. Et ça, c’est un gros problème qu’on a aujourd’hui avec le référentiel français, c’est qu’il ne dit pas… En fait, il y a la liste des critères, mais ça ne dit pas à quel type de besoin ça répond concrètement.
Ce référentiel français, le RGAA (dont j’ai expliqué tout à l’heure l’acronyme), il est basé, en fait, sur une norme internationale qui s’appelle les WCAG (les Web Content Accessibility Guidelines). Et cette norme-là, c’est très important d’aller lire les critères quand on s’intéresse à un en particulier, parce que quand on lit les critères en entier, il y a toujours un chapitre dedans qui s’appelle Benefits, donc les bénéfices. Et en fait, ça explique concrètement à qui ça sert, à quel besoin d’accessibilité ça répond et donc, pour les personnes handicapées, pas pour les personnes valides.
Et ça, c’est très important pour comprendre pourquoi on fait les choses. Et je disais que ça a un effet pervers parce que, par exemple, j’avais vu passer… je sais plus, c’est il y a quelques années… une fonctionnalité de sous-titrage sur une vidéo qui, en fait, s’activait automatiquement quand on avait le son qui était coupé sur l’ordinateur. Donc ça veut dire qu’une personne malentendante, elle met le son et elle a besoin des sous-titres. Et ben, elle ne verra pas les sous-titres parce qu’elle a le son qui est activé.
Une personne sourde, pareil. Et ça arrive qu’une personne sourde : elle ait quand même le son activé même si elle n’entend pas. Du coup, les sous-titres apparaîtront pas. C’est complètement une fonctionnalité d’accessibilité qui est détournée pour les personnes valides, et donc là, on se retrouve avec un problème d’accessibilité pour une fonctionnalité d’accessibilité. C’est quand même beau. Donc voilà du coup sur ce point.
— Marie : Je pense qu’on a bien compris que l’accessibilité web, c’est un droit et j’espère qu’il y a des personnes qui sont convaincues parmi nos auditeurs et que, finalement, c’est un peu aussi une conscience collective qu’il faut avoir sur le sujet et qu’il faut prendre en main. On a vu aussi, les impacts. Moi, ils me paraissent assez forts parce qu’effectivement, on pense juste peut-être au formulaire que la personne ne va pas pouvoir remplir comme tu parlais, Anaïs. Bon, déjà ça, ça pose un problème quand on pense au fait qu’il y ait de plus en plus de démarches qui soient faites sur internet et qu’il n’y ait plus de bureau physique, etc. Donc déjà rien que ça, ça peut être problématique. Mais effectivement aussi l’aspect social avec les réseaux sociaux, l’aspect connaissances aussi avec l’accès au contenu. Donc on voit un peu les dimensions que ça peut avoir pour une personne qui est en situation de handicap.
Comment inclure l’accessibilité dans vos projets web ? Retour d’expériences et conseils (à 34 minutes 27)
La découverte du sujet de l’accessibilité chez Toovalu, retour d’expérience d’Anaïs (à 34 minutes 27)
— Marie : Maintenant qu’on a vu tout ça, est-ce que vous pourriez un petit peu nous partager comment, concrètement, une fois qu’on est convaincu, on peut intégrer l’accessibilité web à son produit, la diffuser dans son entreprise ? Et j’aurais bien aimé avoir ton retour, un petit peu d’expérience, Anaïs, puisque chez Toovalu, c’est un point qui est assez récent aussi. Donc, comment, concrètement, vous avez pris en main le sujet une fois que que votre RH avait mis ce sujet en tant que valeur, et comment ça se matérialise aujourd’hui ? Comment vous avancez sur le sujet ?
— Anaïs : Alors, avant qu’elle le mette vraiment, qu’elle veuille le pousser en tant que valeur de l’entreprise, donc on a eu cette table ronde avec Julie où, en fait, on est deux développeuses et une des product owneuses qui y participent. Donc là, pour toutes les trois, c’est un déclic à ce moment-là. Vraiment, ouais, c’est un vrai déclic, un vrai électrochoc. Et donc, quand on rentre au bureau, la première chose qu’on fait, c’est qu’on va sur logiciel qu’on est en train de développer depuis maintenant deux ans… Là, c’est grosse chute, hein… Parce que nous, on pensait être des gens bien, hein. (rires)
À ce moment-là, on était sûrs de nous. On savait qu’on avait des problèmes de contrastes parce que, malheureusement, la charte graphique ne nous a pas été livrée de façon accessible, et c’est un calvaire. Mais on essaye de s’adapter et de trouver des compromis, des choses sur lesquelles on peut travailler de façon positive sur cette charte graphique.
Donc là, il y a vraiment eu un moment où on a chuté, on a tremblé, et puis après, on est allés boire un café, on a soufflé et on s’est dit : OK, on n’est pas bons aujourd’hui
.
À ce moment-là, on a à peu près 120 pages quand même, sur le logiciel qu’on développe. Donc là, on se dit : wow le chantier va être énorme, ça va être compliqué
. Et on s’est dit : mais par où, par quel bout on commence ?
Et donc, on s’est dit : bah nous, le RGAA on le connaît pas bien, voire pas du tout
. Et l’avantage, c’est que le logiciel que l’on développe, c’est un logiciel qui nous permet d’implémenter n’importe quel référentiel.
Donc, certes, nous, aujourd’hui, notre métier, c’est référentiel climat et référentiel RSE. Mais pour autant, on s’est dit : bah, en fait, non, on va mettre le RGAA dans le logiciel, comme ça, tous les salariés de l’entreprise le verront passer. Ils vont commencer à voir ce mot qui va leur venir un petit peu régulièrement.
Et donc, au début, c’est vraiment porté par les développeurs. On en parle de plus en plus, on échange entre nous, en se disant :
ah t’as vu sur c’te page, bah là j’ai un piège au clavier. Je n’arrive pas à le réparer. Est-ce que tu peux m’aider ?
Là, j’ai un problème de contraste, est ce qu’on peut voir avec les product owneuses, si on peut faire un effort là-dessus ?
Et donc, on échange beaucoup au niveau des développeurs. Et on en parle de plus en plus dans les bureaux, et donc le mot « accessibilité » arrive de plus en plus dans les autres cercles (parce qu’on travaille en holacratie et donc ce ne sont pas des services, mais ce sont des cercles), et donc de plus en plus, c’est ce mot qui arrive.
Le terme « handicapé » arrive et pas forcément « personne en situation de handicap », des « personnes handicapées », tout type de handicap.
Et là, on se dit : ouais, on peut aller un petit peu plus loin
. On commence à demander un petit peu des formations, des livres, des accompagnements, voir vers où on peut aller. Une fois qu’on a implémenté le référentiel dans notre propre outil, en sachant qu’il nous a fallu un trimestre pour l’implémenter, parce qu’on a implémenté également tous les cas de tests ; ça fait beaucoup de cas de tests.
Et plus on implémentait, et plus on se rendait compte que le gap allait être assez haut pour nous. Mais pour autant, on s’est pas découragé. Et donc on passe le référentiel… Quand je dis « on passe le référentiel », c’est : on lit chaque critère et chaque cas de test sur chacune de nos pages du logiciel.
Donc on commence par les pages où on a le plus de fréquentation : la page de connexion qui est la première page du logiciel. Et donc là, on vient réparer au fur et à mesure.
Maintenant, on sait que, là aujourd’hui, on est cinq développeurs. On a pris à cœur le sujet. On fait attention notamment aux librairies front avec qui on veut travailler : on essaye déjà de voir celles qui prennent en compte l’accessibilité et celles qui n’en parlent pas. Donc déjà ça, c’est le critère numéro un pour le choix de nos librairies front, quand même. Donc on est assez fier d’avoir ça. Ça a bien avancé.
Et puis, après moi, je me suis beaucoup servie de Slack. Slack, c’est vraiment l’outil central, chez nous, pour la communication en interne. Et pendant tout un trimestre, j’avais plusieurs objectifs pendant ce trimestre et j’en avais notamment un qui était de partager aux salariés un maximum de tips d’accessibilité sur les documents.
Et donc, c’est par exemple d’avoir un sommaire, un sommaire qui est cliquable, d’avoir une alternative textuelle sur les images, de pouvoir avoir une structure sur la page avec des titres, des sous-titres… Une liste : on ne fait pas un point et on écrit le texte. On utilise le petit outil liste de notre éditeur de document.
Et donc ça, je faisais un tips tous les 15 jours. Pareil sur les contrastes. Et ça, petit à petit, je pense que j’ai fait un peu ma harceleuse pendant un trimestre, je pense que je leur ais bourré le crâne sur l’accessibilité. Dès qu’il y en avait qui faisait une présentation, un PowerPoint, un Word, à chaque fois, j’y allais de mon petit commentaire d’accessibilité : Ah les titres on les voit pas vu d’ici, c’est dommage. Pourtant on le sait, que la salle est grande chez nous, donc, ce serait bien de prévoir des titres plus larges pour que tout le monde puisse les lire.
(rire)
Les graphiques qui sont présentés dans je ne sais combien de PowerPoint dans toutes les entreprises de France… Quand le graphique, il y a pas vraiment de couleurs et, de toutes les façons, on ne doit pas porter l’information par la couleur. Y’a pas de chiffres, y’a pas les unités, il y a pas d’explication. Quand on le sort de son contexte, le graphique, on ne le comprend plus.
Et donc, tout ça, pendant un trimestre, j’y suis allée de mes petites remarques : j’en ai aidé quelques-uns à retravailler leurs documents, leurs présentations, pour que ce soit un maximum accessible.
Et petit à petit, ça rentre. Et petit à petit, c’est à ce moment-là où pendant une réunion trimestrielle, la RH dit que, dans les valeurs de l’entreprise, on a l’accessibilité.
Dernier séminaire qu’on fait, ça date de la semaine dernière. On a commencé à retravailler la RSE de Toovalu dans le logiciel que l’on développe et dans les indicateurs RSE, on a l’accessibilité des outils que l’on développe. Pour pouvoir mesurer ces indicateurs et voir comment on les fait évoluer de trimestre en trimestre ou d’année en année.
— Benjamin : Et du coup, ça soulève plein de questions… Tu parlais que vous avez pris les pages les plus importantes. Tout à l’heure, on a parlé des critères A, double A, triple A. C’est-à-dire que vous avez pris… alors, je sais pas : y a combien de critères au final ?
— Anaïs : 106. Ça fait plus de 250 cas de tests. En fait, on a commencé par une page qui est très simple chez nous ; en tout cas, on pensait qu’elle était très simple. Il y a deux champs sur cette page-là (le champ e-mail et le champ mot de passe), un petit lien pour un mot de passe oublié, la validation du formulaire.
Bon, rien que sur cette page, on avait le logo de l’entreprise, mais y a rien qui explique que c’est le logo. On a une image porteuse d’information : on n’a pas d’alternative textuelle. Le message d’erreur du champ e-mail n’est pas relié au champ donc il ne sert strictement à rien.
Donc il y avait plein d’erreurs déjà sur cette page-là, qui ne comporte pas énormément de d’informations à la base : on est sur une page de connexion. Donc on a commencé par celle-ci, parce que tous nos utilisateurs n’ont pas le choix que d’arriver sur cette page-là. Donc la première qui doit être accessible chez nous, c’est celle par laquelle les utilisateurs vont entrer.
Et ensuite, après, notre logiciel est conçu comme si c’était deux logiciels. On a une partie admin, paramétrage, et une partie destinée aux collecteurs. Les collecteurs, ce sont nos utilisateurs, nos clients.
Dans un premier temps, on se focalise sur la partie des clients, parce que c’est là où il y a le plus grand nombre d’utilisateurs et c’est là où on aura le plus fort impact.
En sachant que la partie admin, qui est composée pratiquement intégralement de formulaires, est utilisée pratiquement que par les salariés de notre entreprise. Donc on est à peu près 25-30, aujourd’hui, dans l’entreprise à travailler. Et c’est pas forcément ce côté-là où on a les plus gros problèmes, en fait. Sur ces formulaires-là, on n’a pas été trop mauvais. Je ne sais pas trop pourquoi, on a été bons. Il y a des erreurs, mais en tout cas, c’est pas la majorité des erreurs. Elles viennent pas de cette partie-là de l’outil.
Donc, on se focalise plutôt sur la partie où on a le plus d’utilisateurs aujourd’hui.
Les tests avec le RGAA et les outils automatiques (à 42 minutes 58)
— Julie : Mais, le RGAA quand on n’est pas formé·e, déjà même quand on est formé·e, il est quand même un petit peu imbuvable. Il y a certains critères qui sont totalement incompréhensibles ; il faut les lire 10 fois pour comprendre. Y’a même certains critères où il faut aller lire la norme WCAG pour les comprendre, parce que la norme est plus claire que le critère RGAA… Comment vous êtes sûr·es que c’est bon ce que vous vérifiez ?
— Anaïs : Même si on l’a implémenté sur notre outil. On a la possibilité de rajouter des commentaires lorsqu’on ajoute… je vais dire une ligne de données, une question, un critère, un cas de test, et dans lequel on peut, si on veut, mettre des exemples. Et donc, moi, sur certains cas de test, j’ai mis des exemples, des exemples sur notre outil qui nous parlent, à nous, pour pouvoir le faire évoluer. Et aujourd’hui, en effet, on a personne capable chez nous de réaliser un audit professionnel.
Mais par contre, on a aussi retenu une chose, c’était que rien ne sert de faire un audit si on n’a rien fait pour l’accessibilité. Et donc, du coup, nous, notre premier gros chantier, c’est vraiment de prendre vraiment en main l’accessibilité sur notre logiciel, de monter en compétences sur l’accessibilité. Et, une fois qu’on aura fait des efforts réels sur notre outil, on pourra envisager de le faire auditer de façon professionnelle avec quelque chose de très bien fait pour ensuite voir : bah, là où on a encore des manques, là où on a des lacunes, et où est-ce qu’il faut qu’on travaille…
— Julie : D’accord. Et, du coup, est-ce que vous utilisez aussi des outils tests automatiques ? Parce qu’il en existe un certain nombre… Pour être claire, ça teste… ce qu’on dit, en général, c’est 20 à 30% maximum des critères d’accessibilité. Donc, c’est pas grand chose, mais ça peut aider, parfois.
— Anaïs : En outil, c’est simple… Là, j’ai mon navigateur, qui est ouvert. Donc, j’ai Wave, Axe et je vais mal le prononcer, je suis sûre que, Julie, tu pourras me rattraper là-dessus… Tana, tana, tana…
— Julie : Tanaguru, sûrement.
— Anaïs : Voilà exactement, merci. Qui nous permettent, en fait, de voir rapidement, je vais dire, là où il y a des imperfections. Mais on ne peut pas s’arrêter qu’à ça. C’est clairement impossible de se dire : si mon Wave ou mon Axe me dit que j’ai zéro erreur, je suis accessible
. Ça, c’est juste impossible de penser de cette façon-là. Non, c’est juste une accessibilité de surface, c’est une aide au développement. C’est très bien ce qu’ils ont fait. C’est cool que ça existe. Ça peut aider. Mais c’est pas du tout assez. Non, on ne se base pas sur ses extensions de navigateur, sur ces aides que l’on peut avoir en plus pour se dire : « on est accessible ».
Quand on regarde le référentiel et qu’on en essaye de faire passer les critères sur les pages de notre logiciel, on est sur notre code. On a nos machines virtuelles avec Windows parce que, en tant que développeur, on est sous Linux et donc on a rien pour vocaliser le site web, en tout cas rien de façon libre et gratuite. Donc, du coup, non. Ça nous aide au quotidien, mais on ne se base pas là-dessus pour dire qu’on est accessible.
— Julie : Il y a ORCA comme lecteur d’écran sous Linux, pour info. Ça peut dépanner parfois.
Les outils de surcouche (à 46 minutes 18)
— Marie : Et du coup, vous parliez des outils d’audit sur l’accessibilité. On pense aussi aux outils de surcouche qu’on voit de plus en plus sur ça. Est-ce que c’est une bonne première… bon, c’est sans doute pas une solution miracle et je pense que vous nous direz pas le contraire, mais est-ce que c’est une bonne première étape ? Est-ce que c’est… il y a des choses qui sont bonnes à utiliser, même partiellement ? Et pourquoi, d’ailleurs, on peut se poser la question : qu’est-ce qui fait que, aujourd’hui, les outils d’audits ne peuvent pas aller jusqu’au bout, d’ailleurs, de la réflexion ?
— Julie : Oui, donc les outils surcouche pour définir un petit peu ce qu’on entend par là. En fait, c’est généralement, un module qui s’installe individuellement dans les sites web. Et souvent, ça prend la forme d’un petit bouton sur lequel on clique et ça ouvre un panneau avec des options de personnalisation de l’interface.
Alors, ce petit bouton, il peut prendre différentes formes, ça dépend des outils. Ça peut être le mot « accessibilité », ce qui ne parle pas forcément aux personnes qui en ont besoin parce qu’il faut savoir que toutes les personnes handicapées ne se savent pas forcément handicapées. Donc, le mot « accessibilité » ne parle pas forcément. Et puis derrière, le mot « accessibilité », finalement, on peut s’attendre à plusieurs choses, pas forcément ça.
Ensuite, ça peut aussi être une icône sans texte. Ça peut être une personne en fauteuil roulant. C’est pas forcément très parlant pour tout le monde, parce qu’une personne qui est malvoyante, par exemple, le fauteuil roulant, ça ne lui parlera pas.
Ça peut être aussi l’icône de l’homme de Vitruve qu’on voit de plus en plus pour représenter l’accessibilité. Donc c’est un petit bonhomme simplifié avec les bras et les jambes un peu écartées. Mais ça, c’est pareil, ça parle pas aux gens.
Bref, déjà, ce bouton-là, il faut le trouver, savoir ce qui se cache derrière. Faut oser cliquer aussi, parce qu’on se rend compte quand même que y a des personnes qui, dans leur utilisation quotidienne du numérique, n’osent pas forcément cliquer, en fait, sur les choses où elles ne savent pas ce qui se cache derrière.
Donc, ça ouvre une petite fenêtre de personnalisation de l’interface avec des options, comme par exemple avoir des contrastes renforcés, changer la police d’écriture, enlever la justification. Ça peut être plein de choses. Alors il y a des outils qui promettent monts et merveilles. C’est-à-dire qu’il y en a qui vont dire que ça va rendre les sites conformes aux référentiels d’accessibilité que ce soit la norme WCAG ou le RGAA pour la France.
Il y en a qui vont donc proposer ce qu’ils appellent des lecteurs d’écran, sauf que (rire), un lecteur d’écran dans ce genre d’outils n’est pas un lecteur d’écran, parce que un vrai lecteur d’écran, c’est donc un logiciel qui permet de naviguer dans un ordinateur et non pas juste dans une page web. Une personne qui a besoin d’un lecteur d’écran, elle en a besoin partout en fait, pas juste dans ce site web-là. Et un lecteur d’écran, ça va permettre, oui, de vocaliser ce qui se trouve à l’écran, mais pas seulement. Ça va permettre aussi, par exemple, de naviguer de titre en titre, de naviguer de bouton en bouton, de chercher parmi une liste de liens celui qui nous intéresse, etc.
Et ces outils-là ne permettent absolument pas ça. Donc, c’est juste une… finalement, c’est pas un lecteur d’écran, c’est juste une synthèse vocale qui va permettre aux personnes qui ont des difficultés de lecture de faire lire la page de façon audio. Donc, c’est absolument pas le même besoin, en fait, qu’un lecteur d’écran
Donc, voilà ces outils-là en gros, est-ce que c’est une bonne première approche ? Bah non, parce qu’en fait déjà, si le site n’est pas accessible au départ, en général, ça ne marche pas bien. Déjà ces outils-là, il faut savoir que même si le site est accessible dès le départ, en fait, des fois il y a juste des fonctionnalités, elles ne fonctionnent pas. Même quand le site n’est pas accessible au départ, ça ne marche pas non plus.
On voit beaucoup de fonctionnalités de contrastes renforcés qui, en fait, n’augmentent pas les contrastes sur toutes les parties de la page web du site. Donc on retrouve, par exemple, avec des textes qui sont toujours en vert clair sur fond blanc, donc absolument pas contrastés, des choses comme ça. Ou alors ça propose de stopper les animations, mais le carrousel qui tourne tout seul, là, il est pas stoppé, lui, parce que ça c’est trop difficile à faire avec un petit widget comme ça (rire). Donc en réalité, ça marche pas très bien.
Et quand ça marche, en fait, déjà, il y a le problème de pouvoir trouver l’outil. Il y a aussi un autre problème, qui est celui du respect de la vie privée, parce que ces outils-là embarquent souvent des cookies tiers, des analytics. Voilà, il faut bien tracer, aussi, pour savoir combien de personnes qui se servent de cet outil formidable (rire), sauf qu’on ne demande pas le consentement. Et donc il y a certains de ces outils qui sont parfois bloqués directement par les bloqueurs de publicité.
Donc ça veut dire qu’il faut faire un choix entre avoir un outil qui va m’aider à naviguer dans la page web, ou bien le respect de ma vie privé. Donc, c’est pas toujours… surtout quand on est handicapé·e, on n’a pas forcément envie que la boîte qui commercialise l’outil sache quel handicap on a. Parce qu’en fait, en fonction des options de personnalisation qu’on choisit, on peut très bien recouper et savoir quel handicap a la personne. Alors, on ne peut pas forcément savoir dans le détail, mais on peut déjà avoir une très bonne idée. Donc il y a une notion de vie privée qui est quand même assez importante, quoi.
La prise en compte de l’accessibilité dans des projets (à 52 minutes 43)
— Benjamin : Avant du coup de se dire… Là, on essaye de voir un peu comment on peut mettre en place l’accessibilité dans mon produit, dans mon site, dans mon appli… Est-ce que, déjà, la première étape en phase de design… Est-ce que y a des réflexions, des choses à avoir, auxquelles il faut penser pour structurer une page, un site ? Est-ce que vous avez des choses à nous fournir, des données ou des checklists, ce genre de choses ? Pour bien penser la conception d’un produit et qu’il soit accessible dès le début.
— Anaïs : En fait, je pense qu’il n’y a pas de checklist à avoir, parce que la checklist serait beaucoup trop longue et, du coup, je pense qu’elle ne serait pas utilisée dans son intégralité. Mais là, chez Toovalu, donc Toovalu a 10 ans d’existence, et ça fait quatre mois qu’on a une UX/UI designeuse et donc c’est elle qui est en charge de nous produire les maquettes et qui est responsable du parcours utilisateur sauf qu’elle arrive alors que le logiciel a déjà commencé le développement depuis un an et demi.
On a travaillé avant qu’elle arrive avec une société de prestations pour le design où l’accessibilité ne rentrait pas du tout dans leurs propositions et, en fait, donc il faut ré-imaginer les propositions de cette équipe de graphistes et partager au niveau des product owneuses, mais quand on en est à des sujets très hauts, donc, c’est très loin avant d’arriver dans les développements, ces maquettes seront partagées aux développeurs deux, trois mois, six mois après leur production.
Et au moment où, nous, ça nous arrivait, en tant que développeurs pour que ce soit développé dans la quinzaine, ben nous, on bloquait. Donc, il y a déjà plusieurs choses où on a fait vraiment barrage, on a dit : non, ça, on le fera pas. Ça, on le fera pas parce que ça n’est pas accessible.
On nous avait proposé un texte qui tournait en boucle avec un rythme de deux secondes. Déjà, moi, je considère que je suis une personne valide : deux secondes pour lire un texte, je ne peux pas. C’est juste impossible.
Et là, je me mets dans la peau d’une personne, un peu épileptique, un peu, ou beaucoup, ou juste épileptique. Je vous mets au défi de ne pas avoir de crise avec un cercle qui boucle toutes les deux secondes, de ne pas pouvoir l’arrêter. Il n’y avait rien vraiment qui permettait ça. Donc ça non, on a fait barrage à ce moment-là en tant que développeurs.
Par contre, depuis que l’UX designeuse est arrivée, on l’embarque petit à petit dans l’accessibilité, parce qu’elle n’est pas formée à l’accessibilité du numérique. On l’embarque dans le sens où là, par exemple, elle a commencé à créer les personas, donc d’avoir différents types d’utilisateurs qui utilisent notre outil. Et elle, dans la première version de ses personas, il n’y a pas d’handicapés. Il y a différentes tranches d’âge, différents postes dans l’entreprise, puisqu’on s’adresse à des entreprises, mais il n’y a pas d’handicapés.
Après avoir discuté avec elle à plusieurs reprises et à sa demande, donc là, j’étais très contente de voir que c’était à sa demande et pas parce que j’avais insisté. Au final, elle est en train de réfléchir à mettre en place des personas handicapés. Parce qu’il faut réfléchir à la cohérence. Quand on utilise au clavier, à quoi va ressembler notre focus ? Qu’est-ce qu’on veut qu’il y ait au clic ? Comment on avertit l’utilisateur de ce qui va se passer au clic ? On a développé récemment sur notre logiciel une partie drag’n’drop.
On a pas fait barrage en tant que développeurs, on a juste demandé à ce qu’il y ait une alternative pour les handicapés. Donc du coup, là, elle est en train de retravailler cette partie drag’n’drop de façon à ce que ce soit accessible pour tout le monde, parce qu’aujourd’hui ça ne l’est pas, ça n’est pas accessible pour tout le monde.
Donc ça, ça rentre petit à petit. Donc, c’est vraiment déjà la formation UX/UI designers. Donc là, on n’est pas encore au stade de la formation, on est au stade de la sensibilisation.
On a également pris des places pour Paris Web, l’entreprise nous a autorisé à prendre des places pour Paris Web, où il y a bon nombre de talks sur l’accessibilité et l’UX designeuse a voulu venir avec nous. On était aussi assez contents qu’elle puisse nous accompagner pour pouvoir être encore plus sensibilisée à ces sujets.
Il y a des moments où on aimerait aller plus vite et on aimerait dire : ben OK, chez Toovalu, on est 25, on forme les 25 personnes
. Mais on sait que, en terme de budget, ça ne passe pas. Et ça n’est pas parce qu’on ne veut pas le prioriser, mais c’est parce qu’on segmente les dépenses dans tous les cercles et pour tout le monde. Mais on sait qu’on arrivera… On a notamment une des product owneuses qui a demandé à être formée à l’accessibilité en tant que product owneuse. Donc, ça fait déjà de plus en plus de monde qui a pris conscience qu’il fallait être formé et pas seulement sensibilisé à l’accessibilité.
On a beau être plein de bonne volonté, ça marche pas si on n’est pas formé.
— Marie : Julie, est-ce que t’as un petit retour d’expérience à nous faire sur des expériences que t’as pu avoir dans des entreprises que t’as accompagné ? Comment ça s’est passé ? Comment le sujet a été pris en main ? Et peut-être comment les équipes aussi ont accueilli ce changement et s’en sont saisies pour le faire grandir aussi dans l’entreprise ?
— Julie : Oui. J’ai eu un projet en particulier où ça a vraiment super bien marché. En fait, c’est un projet de refonte d’un site web où l’accessibilité a été un véritable enjeu mais de la direction, en fait. Au départ, j’ai été embarquée sur le projet… Je bossais dans une ESN, anciennement SSII à l’époque. Donc, j’avais été embarquée sur le projet en tant qu’intégratrice web qui connaissait, du coup, l’accessibilité. J’étais déjà formée à l’époque et, en fait, j’ai pris les deux casquettes, donc j’étais à la fois intégratrice et consultante en accessibilité.
Y’avait les product owners qui rédigeaient les US, donc je mettais les préconisations dans les US et ça permettait donc à l’équipe de développement de savoir comment développer, parce que moi… en fait, je faisais de l’intégration HTML/CSS statique et ensuite les développeurs et développeuses prenaient ce code-là pour l’intégrer dans leur environnement de développement. Et tout ce qui était JavaScript, globalement, c’était plutôt de leur côté aussi. Donc il y avait des choses ou en fait, bah moi, je pouvais faire d’emblée correctement avec les autres personnes qui étaient dans l’équipe d’intégration.
Et donc voilà, du coup, nous, on faisait correctement cette partie-là et ensuite fallait que l’équipe de développement gère aussi son côté. Ça nécessitait aussi de faire des points réguliers avec les PO, parce que des fois, ça manquait d’informations dans les US pour bien comprendre les enjeux d’accessibilité.
Donc, il y avait beaucoup de réunions. Et on avait, dans ce qu’on appelle le definition of done, on avait des tests de base d’accessibilité. Donc, par exemple, vérifier que la navigation au clavier sur les éléments interactifs est fonctionnelle, vérifier que quand on zoome à 200%, il n’y a pas de contenus qui vont disparaître, que le code est valide selon ce qu’on appelle communément le « validateur W3C » qui vérifie le code HTML. Des choses comme ça, en fait, qui permettaient de s’assurer que voilà, les points de base, en fait, sont bien remplis.
Et ensuite, il y avait une agence d’accessibilité qui auditait et donc remontait finalement assez peu de points, parce qu’on avait pris les précautions en amont donc il n’y avait plus grand chose à dire. Et donc, ça permettait de peaufiner tout ça.
Alors, ce site-là a ensuite été labellisé alors, un label qui n’existe plus aujourd’hui, mais ça s’appelait le label AccessiWeb. Et donc, il avait le niveau argent, donc c’est-à-dire qu’en fait il était conforme ou RGAA niveau double A, donc à tout le RGAA.
Et donc ça, ça a été vraiment un super projet parce qu’on sentait qu’il y avait à l’écoute derrière. Malheureusement, j’étais, en fait, finalement la seule personne formée sur le projet. Donc, il aurait fallu en fait emmener… Alors les autres ont beaucoup appris du coup forcément, on travaille ensemble et avec les retours de d’audits, etc. Mais pour moi, ça fait pas tout. Faut que derrière, faut que l’équipe soit formée, parce que du coup, quand j’étais en vacances, bah, quand je revenais, j’avais une montagne, de trucs à rattraper.
Et puis après, je suis partie de l’entreprise et je ne sais pas vraiment comment ça se passe aujourd’hui. Mais voilà, du coup, c’était vraiment un super projet, parce que au-dessus, dans la direction, y avait cette volonté vraiment de bien faire, du côté des product owners, y avait aussi une très grande écoute, la volonté de bien faire, etc. Donc, des projets comme ça, c’est malheureusement trop rare. J’espère qu’il va y avoir de plus en plus.
— Marie : Ça rejoint complètement aussi sur la partie Agile, donc les méthodes agiles. Beaucoup de professionnels considèrent que, finalement, le rôle qui est un petit peu clé, c’est les sponsors. On parle de sponsors, mais c’est en fait toutes les personnes qui sont dirigeantes et qui vont financer le projet, parce que in fine si elles n’ont pas, cette volonté en tout cas, d’avoir cet effort qui est fait, au-delà de connaître le sujet et c’est pas forcément leur rôle, mais de porter le sujet et, d’y être sensible.
Y a un vrai échec qui est constaté, qui est fort, sur d’autres sujets que l’accessibilité, comme l’agilité. Parce que bah finalement, très vite, on y renoncera pour quelque chose qui est peut-être un petit peu plus sexy que ça sur le papier, et c’est le cas sur l’agilité que nous on voit en tant que PO et PM au quotidien.
— Julie : Et sur l’accessibilité, il faut aussi avoir en tête qu’il n’y a pas de baguette magique, donc en fait, si y a pas de budget qui est prévu pour le sujet, bah en fait, ça sera pas possible à tenir. Parce que bon y a des choses qui sont très, très simples à faire pour l’accessibilité, mais déjà il faut les connaître.
Et puis, il y a des choses qui vont mettre un peu plus de temps malgré tout, parce que, par exemple, y a certains scripts qui sont un peu complexes. Alors là, on avait eu un cas sur ce projet-là typiquement c’était l’auto-complétion pour un champ de formulaire. Bah, pour que ce soit accessible, il y a des choses à prendre en compte. Parce que, ben, c’est pas forcément évident d’avoir les bons retours pour le lecteur d’écran, que ce soit bien compatible avec tous les lecteurs d’écran prévus.
Donc, oui, ça prend un peu plus de temps. Ça prend un peu plus de temps pour tester. Faire les préconisations dans les US, c’est pareil, ça prend du temps.
Donc, on sait pas… Alors, il y a des gens qui, je ne sais pas d’où ils sortent un montant ou un pourcentage d’argent à prévoir en plus au niveau du budget. En vrai, on sait pas parce qu’on n’a jamais eu le même projet qui est fait par une équipe de façon inaccessible et par une autre de façon accessible. En vrai, on sait pas combien il faut en plus. Ce qui est certain, c’est qu’il faut plus et donc, pour ça, il faut une vraie volonté des personnes qui chapeautent les projets.
Comment se former à l’accessibilité web ? (à 1 heure 5 minutes et 15 secondes)
— Benjamin : Comment je me forme aujourd’hui, si j’ai envie justement de mettre en place ça ? Où je peux trouver des ressources ? Alors j’ai compris qu’il y avait un blog dans lequel il y avait pas mal d’informations (rire). Est-ce que y’a d’autres endroits où je peux me former à l’accessibilité ?
— Julie : De toute façon, on va commencer forcément par de l’autoformation. Ça, c’est inévitable, et c’est très bien de commencer par l’autoformation. Tout le monde commence par là. On apprend, on commence à baigner dans le sujet, etc. Mais c’est absolument pas suffisant.
Des fois, on a beau tomber sur des articles qui peuvent être très bien écrit, très clair, etc. mais comme en fait on n’est pas formé·e au sujet, ben des fois il suffit d’une petite phrase qu’on comprend tout simplement de travers. Parce qu’on a cette méconnaissance qui fait qu’on a pas compris correctement.
Donc, il y a des choses qui existent, comme les notices AcceDe Web par exemple, qui sont des notices regroupées par familles de métiers. Donc il y a des notices qui sont plus pour la partie graphique, plus pour la partie intégration web (donc HTML et CSS) et des notices pour… on appelle ça « les composants d’interface riche » en gros, ça va être pour des personnes qui font du JavaScript. Et la notice d’accessibilité éditoriale, parce qu’évidemment, quand on contribue des contenus d’un site web, bah, y a aussi des choses à savoir. Donc, ça, c’est une bonne entrée en matière, parce que c’est assez bien écrit et assez bien expliqué.
Maintenant, ça empêche pas de parfois mal comprendre ou parfois d’avoir un contexte différent de celui qui est dans la notice et du coup, de croire qu’en fait ça s’applique à tous les contextes, alors que parfois, le contexte, en fait, ça va être un peu différent.
— Anaïs : Il y a quatre, cinq ans quand j’ai commencé dans le web, en fait, j’aurais voulu être déjà beaucoup plus curieuse, parce qu’aujourd’hui on me dit que je curieuse, mais je pense qu’il y a cinq ans en arrière, je l’étais pas assez, parce que je n’avais aucune notion sur l’accessibilité. Pour moi, ces personnes-là n’existaient pas sur le numérique. Ça aurait été : renseigne-toi un peu plus, va voir ce qu’il y a, au-delà de la formation que t’as faite
. Même si j’aurais aimé que ma formation me propose au moins, je vais dire à minima, un chapitre pour dire qu’il y a d’autres utilisateurs que des valides. Et ça, il n’y avait pas dans ma formation.
Par contre, ce qui, moi, m’a vraiment aidé, c’est le partage auprès de la communauté. Le partage auprès de la communauté sur les réseaux, lors de conférences, de meet-up, table ronde comme avait proposé Julie. Moi ça, ça m’a vraiment fait progresser. C’est là où je pense que j’ai appris le plus de choses.
Et je me suis notée déjà, ce soir, quatre informations en plus et qui viennent m’aider à monter en compétence, tous les jours.
— Benjamin : Est-ce vous avez d’autres ressources à partager ? Est-ce que, par exemple, vous avez un site en tête qui est hyper accessible, qui est médaille d’or de l’accessibilité, pour voir un peu ce que ça peut donner ?
— Julie : J’en ai un. C’est monparcourshandicap.gouv.fr. C’est un site qui a été conçu à destination des personnes handicapées, donc il serait quand même un peu mal venu de le faire inaccessible (rires). En l’occurrence, il est conforme au niveau triple A. Ils ont au moins mis le paquet dessus pour qu’il soit vraiment accessible.
Après, niveau triple A… si on veut un exemple… tout en haut, il y a un lien « Facile à lire et à comprendre », ça affiche le site dans une version en ce qu’on appelle « Facile à lire et à comprendre » donc c’est du français simplifié, en gros.
— Benjamin : Ce qui est intéressant, d’ailleurs, c’est que là, je le parcours, en même temps… le site, il est pas non plus… On pourrait se dire : il doit y avoir un design accessible, il est peut-être pas forcément très sexy
. Mais en fait, là en le parcourant, il est quand même plutôt joli, coloré. Il y a bien les contrastes, etc. Mais je veux dire c’est pas un site un peu brut ou un peu simple. On peut quand même faire un site assez joli, utile et tout en le rendant accessible, quoi.
— Anaïs : Quand j’ai été au Web2Day, du coup, j’ai discuté avec plein de monde sur l’accessibilité, de plein de profils différents, que ce soit des auditeurs, des développeurs et formés ou des personnes qui n’étaient pas du tout sensibilisés. Et il y a quelque chose qui ressortait, notamment par rapport aux graphistes, c’était que certains graphistes avaient peur qu’on leur enlève cette prise d’initiative, ce design qu’ils avaient en tête, parce que l’accessibilité, c’est moche, c’est fade.
Et en fait, pas du tout, vraiment, ils peuvent être créatifs, ils peuvent lancer leur idées. Mais par contre, derrière, il va falloir en effet l’implémenter de façon accessible.
Après il y a des choses toutes bêtes, notamment certains parlent beaucoup des couleurs. Aujourd’hui, ça nous viendrait pas à l’idée d’écrire blanc sur fond blanc. Ben, il faut imaginer que si on respecte pas les contrastes, c’est peut-être ce que l’utilisateur verra ou ne verra pas. Pourtant ça, un graphiste, ça ne viendrait pas l’idée de le faire. Par contre, il y a quelques années quelqu’un qui faisait du SEO, c’était complètement dans ses habitudes que de mettre un texte blanc sur fond blanc tous ses mots-clés, pour être bien référencé par les moteurs de recherche. Aujourd’hui, il ne le ferait plus, parce qu’il sait qu’il va être pénalisé.
Donc, voilà, c’est plein de pédagogie à faire, et le fait de partager notamment des ressources comme ça, où c’est des sites plutôt jolis… Après les goûts, c’est subjectif, mais en tout cas, c’est un site qui est actuel, je vais dire, qui reprend les codes actuels et en plus, il est accessible. Donc ça se fait. Les graphistes ont le droit d’être créatifs.
— Marie : Ça touche aussi un point qui est beaucoup plus large finalement que l’accessibilité, qui est de penser à ses utilisateurs, à les mettre au cœur de la réflexion dès le début, y compris, s’ils sont en situation de handicap.
— Anaïs : En fait, on devrait. Le problème, c’est qu’aujourd’hui on se force à penser aux handicapés. Ce sont des personnes à part entière et ils font partie de la population française et mondiale. Ils sont là. Et aujourd’hui, on a l’impression qu’ils n’existent pas, alors que si, ils sont bien là, ce sont des gens. Alors, certains travaillent, d’autres non, mais au même titre que les valides. Certains payent leurs impôts au même titre qu’un valide. Certains vont à la piscine au même titre qu’une personne valide. Et aujourd’hui, on les a complètement oublié. On les cache, on les masque alors qu’ils sont présents et quand on pense aux utilisateurs, du coup, il y a cette notion business : qu’est-ce qui va nous rapporter de l’argent ? Et on oublie qu’il y a des humains derrière. Il y a toutes sortes d’humains : y a des grands, des petits, des blonds, des châtains, des gros, des maigres. Et des handicapés aussi, mais ils font partie du monde, ils sont là.
Parce que c’est ça qui est beau dans le numérique à la base, c’est que c’est pour tout le monde. Et aujourd’hui, ça n’est plus le cas.
[Générique de fin]
— Marie : Merci de nous avoir écoutés. Nous espérons que vous avez passé un bon moment avec nous.
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— Benjamin : Si vous avez des retours, des questions ou des sujets à nous proposer, vous pouvez nous contacter via LinkedIn puis nous laisser un message vocal sur notre lien Telbee en description. À très vite.
Ressources complémentaires
- Le RGAA ;
- Les WCAG 2.1 en français ;
- Les outils de surcouche d’accessibilité web : mensonges et boules de gomme (un article que j’ai écrit) ;
- Faux gras, caractères fantaisistes, abus d’émojis : le détournement des caractères Unicode, fléau pour l’accessibilité du web : explications et démonstrations en vidéo (par moi, encore) pour que ce soit encore plus clair ;
- Une liste d’outils de tests d’accessibilité ;
- Une liste de guides d’apprentissage sur l’accessibilité web (dont les notices AcceDe Web évoquées) ;
- Une liste de ressources autour de la loi sur l’accessibilité numérique (et les lois elles-mêmes) ;
- Une liste de ressources à propos des personnes concernées par l’accessibilité web ;
- Le million WebAIM, analyse d’un million de pages d’accueil qui révèle que, en 2022, 96,8% d’un million de pages d’accueil ont des défauts d’accessibilité automatiquement détectables.