Cet article est rédigé au féminin générique.
J’ai vu passer un fil sur Twitter (Web Archive) où l’auteur raconte, entre autres, que son entreprise lui a refusé sa demande de rupture conventionnelle au motif que si elle lui était accordée, il faudrait l’accorder également aux autres salariées qui voudraient partir pour des raisons visiblement jugées absurdes par la Directrice des Ressources Humaines (DRH) telles que faire le tour du monde ou partir chez la concurrence.
Cette excuse, je l’ai déjà entendue quelques fois (pas à mon intention) et elle m’agace car elle n’est pas logique. J’ai donc eu envie de poser ça par écrit pour le sortir de ma tête. À noter que cet article ne traite que de cette excuse en particulier et ne dit pas qu’il n’y a aucune raison valable de refuser une rupture conventionnelle.
« Si j’accepte cette rupture conventionnelle, tout le monde va partir »
Oui, c’est vrai, si vous accordez une rupture conventionnelle à une salariée, les autres sauront qu’elles peuvent également tenter le coup. Mais si vous vous inquiétez que tout le monde quitte votre entreprise si vous accordez une rupture conventionnelle, le problème ne serait-il pas ailleurs ? Ne vous voileriez-vous pas la face ? Vos salariées sont-elles heureuses dans votre entreprise ? Aiment-elles faire leur travail ? Les relations entre les collègues et avec la hiérarchie sont-elles bonnes ? Arrivent-elles à se lever le matin pour aller travailler ?
Si à cela vous répondez que vous avez tout fait pour que les salariées soient bien dans leur travail en installant un baby-foot, une tireuse à bière, en organisant des after-works réguliers (autrement dit, des beuveries entre collègues après le travail) voire en embauchant une responsable du bonheur en entreprise (les fameuses « chief happiness officer » parce qu’en anglais, c’est plus classe), laissez-moi vous dire que vous n’avez fait que noyer le poisson et vous avez peut-être même tout fait empirer. Mais ça, c’est un autre sujet.
Si vous refusez les ruptures conventionnelles (RC) parce que toutes les salariées en demanderaient ensuite, je vois trois possibilités :
- Soit, vous ne pouvez pas financer ces RC (auquel cas j’espère que vous avez toujours fait preuve de transparence au sujet de la santé de l’entreprise sinon ça pourrait être difficile à croire) ;
- Soit, vous vous faites des idées car tout se passe bien dans l’entreprise alors arrêtez de paniquer (faites-vous confirmer ce point, quand même) ;
- Soit, vous ne voulez pas financer ces RC parce que vous êtes profondément libéral, non-altruiste ou vous savez que ça se passe mal dans votre entreprise pour vos salariées mais vous ne voulez pas vous l’avouer ou l’assumer.
Pour la troisième possibilité, cela signifie que vous tenez à garder coûte-que-coûte des salariées avec vous alors qu’elles ne se sentent pas bien chez vous. Êtes-vous gérante d’une entreprise ou d’une prison ? (Non pas que je soutienne le modèle des prisons mais ça, c’est aussi un autre sujet).
Dans le fil Twitter que j’ai mentionné, l’auteur raconte également que la DRH lui a dit qu’il faut assumer ses choix : assume que tu veux partir et démissionne sans faire payer ton départ à l’entreprise. C’est vrai que si on avait des allocations chômage quand on démissionne, ça faciliterait grandement les choses mais ce n’est pas le cas. Tout le monde n’a pas les moyens financiers ou l’énergie, le moral (il n’est pas question de courage, ici, pitié !) pour démissionner sans rien au bout. Hé oui, quand on veut quitter son entreprise parce qu’on s’y sent mal, on n’a pas toujours la capacité à chercher autre chose pendant qu’on est dans cette entreprise qui nous est, parfois, devenue toxique. Il faut du temps pour se remettre pour ensuite réfléchir à ce qu’on veut faire et enfin foncer. (Pensées à toutes les personnes qui sont dans cette situation ; je vous souhaite de réussir à vous sortir de là très vite !)
Alors, patrons, patronnes (entorse au féminin générique nécessaire), vous refusez cette rupture conventionnelle et que se passe-t-il ? Soit, la personne va se dire qu’elle ne peut vraiment plus rester et elle va démissionner (et vous haïr jusqu’à la fin des temps en disant du mal de vous). Soit, elle va rester dans l’entreprise dans laquelle elle se sent mal (et vous haïr jusqu’à la fin des temps en disant du mal de vous) et vous le saurez, désormais, puisque vous aurez refusé un arrangement pour un départ dans de bonnes conditions.
Une personne qui se sent mal dans l’entreprise finira certainement par aller très mal au bout du compte. Elle n’aura probablement plus la force de faire quoique ce soit, procrastinera, fera potentiellement mal son travail (volontairement ou non ; ce n’est pas une menace !). Bref, elle ne servira plus aussi bien les intérêts de l’entreprise. Elle finira peut-être par craquer totalement tellement elle n’en pourra plus et sa médecin lui conseillera de s’arrêter et ce ne sera absolument pas par complaisance. Pourquoi diable voulez-vous la garder enfermée ? Êtes-vous tortionnaire ? Finalement, la rupture conventionnelle vous servira autant à vous qu’à votre salariée. C’est le principe, d’ailleurs.
Quand les conditions de départ d’une entreprise donnent envie de venir
Je vais vous raconter une anecdote personnelle. Il y a quelques mois, je me suis associée avec une amie pour monter une activité au sein d’une Coopérative d’Activité et d’Emploi (CAE). Dans l’idée, c’est un peu comme le portage salarial : on est entrepreneuses avec un compte d’activité dédié (qui finance notre salaire, entre autres) au sein d’une coopérative avec plein d’autres entrepreneuses. On a eu à se poser la question de la CAE qu’on allait rejoindre car on avait deux possibilités. On a donc assisté à la réunion d’information de chacune des deux.
Dans la première, à la fin, une personne a posé la question : si on décide de partir, privilégiez-vous la rupture conventionnelle ? La femme de la CAE a répondu non car la CAE n’aurait aucun intérêt à le faire.
Dans la seconde, la femme de la CAE a abordé le sujet directement dans sa présentation : si vous souhaitez partir et que votre activité a la trésorerie nécessaire, alors vous pourrez partir en rupture conventionnelle.
Dans la première CAE, si tu souhaites arrêter ton entreprise, on te force à démissionner, tu peux crever de faim, on s’en fiche. Dans la seconde, jusqu’à la fin on prend soin de toi : on ne veut pas te mettre dans une situation impossible donc, bien sûr, si tu as les moyens de te la payer (c’est ta propre activité qui la finance), tu pars en rupture conventionnelle. Devinez dans laquelle on a choisi d’exercer ? Oui, évidemment, ça a fait partie intégrante des critères de sélection. C’est super important !
Donc oui, accepter une rupture conventionnelle, ça peut vous être extrêmement bénéfique puisque ça peut faire venir des salariées qui savent qu’elles seront bien traitées à la fin si elles veulent partir. Ça vous évite de tenir enfermer des salariées qui ne veulent plus être là. Mais pour en arriver là, ça signifie qu’il faut vous poser sérieusement sur les raisons pour lesquelles les salariées s’en vont. Il faut écouter leurs raisons, sans s’énerver et avec humilité. Il faut aussi aller voir les salariées qui sont toujours en poste et écouter leurs besoins. Puis, il faut agir et mettre en place sérieusement et concrètement les changements nécessaires pour que les salariées aient envie de rester, et ceci avec elles. Il y aura toujours des personnes qui ne seront pas satisfaites et qui partiront pour cette raison mais dans un environnement le plus sain possible, le turn-over ne devrait pas être important.
Par ailleurs, ce serait à vérifier mais, il me semble que les personnes qui ont déjà un autre poste en vue ont plutôt tendance à partir en démissionnant car c’est plus simple donc je ne crois pas que tout le monde demanderait forcément une RC.
Savoir se remettre en question est la clé. Oui, ça pique un peu au début. Mais souhaitez-vous rester des tortionnaires ?
Ressource pour les salariées : j’ai écrit un autre article qui donne des informations sur la façon de quitter son entreprise en rupture conventionnelle qui pourrait vous intéresser.