Dans le cadre des Journées d’étude technologies et déficience visuelle, organisées par la Fédération des Aveugles de France, j’ai participé, début décembre 2020, à une sorte de table ronde, ou plutôt double-conférence, au sujet de l’écriture inclusive en relation avec l’accessibilité numérique. Dans le contexte sanitaire actuel, tout ça s’est, bien sûr, déroulé en visio-conférence.
L’animateur de cette session était Fernando Pinto da Silva, que je remercie pour son invitation. J’ai donné une conférence d’environ 30 minutes intitulée « Écriture inclusive et accessibilité, cessons de dire n’importe quoi ». Dans cette conférence, je mets l’accent sur le fait que l’écriture inclusive ne se limite pas aux abréviations inclusives ou au point médian. C’est également l’occasion, pour moi, d’expliquer plus en détail comment écrire de façon inclusive sans ce fameux point médian.
Puis, Yannick Plassiard (Cecitek) a donné une conférence sur la façon dont les abréviations inclusives pourraient être gérées, ou pas, par les lecteurs d’écran.
Vous pouvez retrouver :
- La vidéo des conférences sur YouTube (le sous-titrage est uniquement automatique pour le moment…) ;
- Mon diaporama ;
- Ci-dessous, la transcription textuelle de toute la session ;
- Et, par ici, mon article de 2019 qui m’a ouvert les portes de cette conférence « Écriture inclusive au point médian et accessibilité : avançons vers des solutions ».
Introduction de la table ronde, par Fernando Pinto da Silva
— Fernando : Presque sans transition puisque de la lecture, nous allons passer à l’écriture. S’amorce maintenant la dernière table ronde de notre journée sur « écriture inclusive et accessibilité numérique ».
Pour contextualiser cette table ronde rapidement, je vais d’abord expliquer comment est née l’idée de faire quelque chose sur ce sujet dans le cadre de nos Journées d’étude technologies et déficience visuelle. Il est arrivé, par le passé, de voir un certain nombre de prises de position ici ou là, sans doute très rapides, peu nuancées ou peu expliquées sur « l’écriture inclusive n’est pas accessible ». En travaillant un peu cette question, on se rend compte qu’il y a sans doute un certain nombre de choses à dire, à exposer, à expliquer convenablement pour mieux comprendre d’une part, ce qu’est l’écriture inclusive et, d’autre part, quels sont les enjeux en matière d’accessibilité numérique quand on parle d’écriture inclusive. Ce qui est somme toute, du moins on l’espère, une façon un peu plus subtile de poser le problème.
Pour en parler, nous avons proposé à Julie Moynat et Yannick Plassiard de se joindre à nous. Bonjour à tous les deux !
Julie est active au sein d’Océane Consulting en tant que spécialiste accessibilité numérique et est aussi rédactrice d’un blog qui s’appelle « La Lutine du web », où elle publie un certain nombre de billets dont un billet qui, personnellement, m’a beaucoup plu, sur l’écriture inclusive. Quand on a pensé à l’élaboration de cette table ronde, j’ai spontanément pensé à elle pour lui proposer d’intervenir en cette fin d’après-midi.
D’autre part, Yannick Plassiard que beaucoup d’entre vous connaissez peut-être déjà : il est notamment très actif au sein de Cecitek, qu’il a créée. Et, Yannick, on le sait un peu moins, est également un peu autour des extensions de NVDA, ce logiciel de lecteur d’écran (NonVisual Desktop Access) que vous pouvez retrouver sur nvda-fr.org. Il viendra, dans un deuxième temps, nous parler ce qu’il est possible de faire techniquement, ou pas, avec un lecteur d’écran lorsqu’on est en présence de certains types d’écriture inclusive.
Sans plus tarder, je donne la parole à Julie pour qu’elle nous expose un peu le fruit de ses réflexions et comment elle pose le débat de ce qu’est l’écriture inclusive.
Ma conférence : « Écriture inclusive et accessibilité, cessons de dire n’importe quoi »
— Julie : Bonjour. Est-ce qu’on m’entend bien et est-ce qu’on me voit ? Ah ! Je ne vais pas demander à Fernando s’il voit mon écran…
— Fernando : On t’entend très bien. Pour l’écran, je ne saurais pas dire mais on t’entend très bien.
— Une personne du public : Et on vous voit très bien, Julie.
— Julie : OK. Donc, le partage d’écran, ça marche ?
— La personne du public : Exactement. Très bien.
Introduction
— Julie : Je m’appelle Julie Moynat (prononcé \mwana\) comme l’a dit Fernando. Je suis autrice sur le blog « La Lutine du web » et également intégratrice web et consultante en accessibilité web chez Tanaguru. Je vais vous présenter la conférence « Écriture inclusive et accessibilité, cessons de dire n’importe quoi ».
Définition de l’écriture inclusive
Avant toute chose, on va revenir sur une définition de l’écriture inclusive qui est aussi appelée écriture non sexiste ou écriture épicène. C’est un ensemble de façons d’écrire, à la fois graphiques et syntaxiques, pour une représentation égalitaire des hommes et des femmes ainsi que des personnes non-binaires dans nos textes.
Les personnes non-binaires sont les personnes qui n’arrivent pas à s’identifier dans la binarité de genre homme et femme et pourront donc s’identifier aux deux genres ou bien, à aucun des deux genres.
Le but initial était de ne plus invisibiliser les femmes dans et par la langue. Ça s’est ouvert, par la suite, aux personnes non-binaires qui ont également besoin d’être représentées.
Au-delà de l’écriture inclusive, on va aussi se poser la question du parlé inclusif et donc, plus globalement, de la communication inclusive. On ne va pas s’arrêter à l’écriture puisque la langue sert aussi à parler.
Pourquoi communiquer inclusif ?
Réparer un illogisme
Une première raison à ça est que, déjà, on va vouloir réparer un illogisme.
Au 17e siècle, quand l’Académie française a été créée, certaines choses ont été décidées pour des raisons purement politiques comme la règle « le masculin l’emporte sur le féminin » ou encore la suppression de certains noms de métiers ou fonctions. J’en veux pour preuves quelques citations qui sont assez parlantes.
Par exemple, il y a Scipion Dupleix dans « Liberté de la langue françoise » en 1651, qui a écrit :
Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif.
Et, Nicolas Beauzée dans « Grammaire générale… », en 1767, a été encore plus clair. Il a écrit :
Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle.
Par rapport à la suppression des noms de métiers, on peut lire également Andry de Boisregard dans « Réflexions sur l’usage présent de la langue françoise », en 1689, qui a écrit :
Il faut dire cette femme est poète, est philosophe, est médecin, est auteur, est peintre ; et non poétesse, philosophesse, médecine, autrice, peintresse, etc.
Ce sont donc des noms de métiers qui existaient et qu’on a décidé de supprimer purement et simplement. Là, on a vraiment quelque chose qui n’est pas logique.
Des études apportent des preuves
On a évidemment une autre raison pour communiquer de façon inclusive car des études ont prouvé que :
- Le masculin générique engendre des représentations mentales majoritairement masculines. Donc, le genre masculin n’est pas neutre comme on voudrait parfois nous le faire croire ;
- Il y en a aussi qui ont prouvé que le masculin générique pluriel ne rend pas compte de la réalité.
Par exemple :
- Pour les offres d’emploi « Développeur H/F » où le « H/F » est censé représenter l’inclusion des femmes, en fait, les femmes ne se sentent pas du tout légitimes par rapport à ces titres d’offres d’emploi ;
- Ou encore, quand on dit « les développeurs » ou « les infirmiers », on va plutôt imaginer un groupe d’hommes alors que, finalement, on pourrait avoir une majorité de femmes dans ce groupe mais ce n’est pas du tout représentatif par la langue.
Des problèmes d’accessibilité ?
L’écriture inclusive poserait des problèmes d’accessibilité.
On a de nombreuses personnes, qu’elles soient handicapées ou non, des associations et aussi le Gouvernement, qui se sont positionnées contre l’écriture inclusive sauf que ces personnes n’ont pas écouté les personnes concernées et, en fait, ne savent pas réellement de quoi il s’agit de manière générale.
En fait, l’écriture inclusive revêt différentes formes et il y en a une seule qui peut vraiment poser des problèmes d’accessibilité.
Et cette forme, c’est la forme des abréviations inclusives, l’écriture au point médian, comme on peut l’appeler aussi parfois.
Les différentes formes d’écriture inclusive
1. Les abréviations inclusives (point médian…)
C’est quoi ?
Ce sont les mots dont la terminaison masculine est mixée avec la terminaison féminine. On va utiliser, pour ça, des caractères tels que les parenthèses, le point, le point médian, le tiret ou la barre oblique, etc.
- On va préférer, généralement, utiliser le point médian parce que c’est un caractère qui n’est pas utilisé par ailleurs dans la langue française contrairement aux autres caractères ;
- On va éviter les parenthèses parce que, symboliquement, ça met les femmes entre parenthèses. Ce n’est pas vraiment le message qu’on veut faire passer, normalement ;
- Et, le point aura tendance, sur les réseaux sociaux, à créer sans le vouloir des liens vers des sites qui n’existent pas. Ça peut être embêtant, sans compter que c’est le point final de phrase donc ça peut être, aussi, perturbant.
Par exemple :
- Les utilisateur·rices (Lors de la conférence, j’avais dit « utilisateur·ices » mais je me corrige car on m’a fait remarquer à juste titre que ça devrait être cette orthographe ; la terminaison féminine étant « rice ».) ;
- Les ami·es ;
- Les chercheur·euses.
On a là une technique graphique pour inclure à la fois le masculin et le féminin d’un mot.
Problèmes
Ça pose des problèmes :
- Il y a, à priori, des difficultés de lecture. Il y a des gens qui disent avoir des difficultés de lecture donc, on ne va pas le nier. Par contre, ce qu’on peut mettre en regard de ça :
- Il y a une étude sur quarante personnes étudiantes. Ce n’est pas énorme, j’en conviens, mais ça montre qu’on s’habituerait au bout de la deuxième occurrence dans un texte.
- Par contre, il n’y a pas d’étude sur l’impact pour les personnes dyslexiques donc on ne sait pas si c’est plus impactant les personnes dyslexiques ou pas. D’ailleurs, il y a des personnes dyslexiques qui disent n’avoir aucun problème avec les abréviations inclusives donc je ne suis pas sûre, à l’heure actuelle, qu’on puisse faire des generalités en disant que ce n’est pas accessible pour les personnes dyslexiques. Sans étude pour prouver ça, c’est un peu compliqué.
- Par ailleurs, il faut aussi relativiser puisqu’il y a certaines abréviations inclusives qui vont être plus difficiles à lire que d’autres. (Je vais revenir juste après là-dessus.)
- Et aussi, ça va dépendre, probablement, de leur nombre : j’imagine que dans un texte, dans un article, si on a une seule abréviation inclusive, ça va, à priori, poser moins de problèmes qu’un article où il y a une abréviation dans toutes les phrases.
- En tous les cas, ce qui est sûr, c’est qu’avec les lecteurs d’écran, il y a une difficulté. Les lecteurs d’écran (je pense que la plupart des personnes qui sont présentes ici savent ce que c’est), ce sont des logiciels qui vont permettre, notamment aux personnes aveugles, de savoir ce qui est à l’écran puisqu’ils vont lire ce qui se trouve à l’écran. Ce n’est pas utilisé que par les personnes aveugles ; il y a justement des personnes dyslexiques qui les utilisent puisque ça facilite la lecture. Toutes les personnes qui utilisent les lecteurs d’écran vont donc rencontrer ce problème-là.
Quand on écrit avec les points médians, ça peut générer une lecture hâchée mais continue ou entrecoupée par le nom du caractère utilisé. Par exemple, si j’écris ami·e·s : ça lira « ami e s » ou bien, ça pourra lire « ami point médian e point médian s ». Pour la compréhension d’un texte, ça peut quand même être assez problématique. - Enfin, un autre problème est qu’il n’y a pas, aujourd’hui, de norme d’usage. Il y a des guides qui ont été réalisés (notamment celui de l’agence Mots clés) mais personne ne fait vraiment de la même façon. Donc, ça ne facilite forcément pas la lecture.
Conseils d’utilisation
Comme conseils, je dirais de :
- Limiter l’usage aux mots qui se prononcent pareil au masculin et au féminin. Comme ça, on n’a pas d’abréviations qui sont trop complexes à lire. Si on a, par exemple, « ami·e·s » : quand on le lit de façon visuelle (je ne parle pas pour les lecteurs d’écran, ici), on va avoir, finalement, la même lecture que ce soit au masculin ou au féminin. On va un peu moins buter sur les mots, à priori ;
- Plutôt que d’utiliser deux points médians, il serait peut-être mieux d’en utiliser qu’un seul puisque ça fait moins de coupures dans le mot ;
- Enfin, on va éviter totalement l’usage des abréviations inclusives. Pour ça, il faut utiliser les autres formes d’écriture inclusive qu’on va voir.
2. L’écriture détaillée / décomposée
Il y a, par exemple, l’écriture détaillée ou décomposée.
C’est quoi ?
C’est le détail de la forme masculine et féminine d’un mot.
Évidemment, ça veut dire qu’on va redonner leur féminin aux noms de métiers et fonctions sinon, ça ne marche pas.
Par exemple on va avoir :
- Les auteurs et autrices ;
- Les développeuses et développeurs ;
- Les amies et amis.
Problème
Pour le dernier exemple, au féminin et au masculin, c’est la même chose. C’est donc un peu plus lourd à la lecture parce que c’est répétitif.
Conseil d’utilisation
On va alors plutôt en user avec parcimonie. Quand on peut utiliser une autre technique comme les mots épicènes qu’on va voir juste après, c’est un peu mieux.
3. Les mots épicènes à genre indéfini
C’est quoi ?
Les mots épicènes sont des mots dont la forme ne varie pas selon le genre. Là, on va parler des mots épicènes à genre indéfini : ça veut dire que le genre de ces mots peut être masculin ou bien féminin.
Par exemple :
- Si je prends les mots « adultes », « bénévoles », « collègues », « partenaires » : ces mots ont exactement la même forme quand ils sont au féminin ou au masculin donc, ils sont épicènes. Par contre, le genre est indéfini puisqu’on peut dire « un ou une adulte » ;
- Et, si on met des adjectifs, par exemple, « un élève attentif » au féminin donnera « une élève attentive ».
Problèmes
Le problème qu’on a ici, on le voit tout de suite, c’est que ça ne règle pas le problème des accords : à quel genre on accorde, finalement, ces mots épicènes ? La question reste encore ouverte.
Si je prends pour exemple « les bénévoles engagés » : au masculin et au féminin, on a le même mot, le même participe passé « engagé » mais on va avoir un « e » en plus au féminin. On se retrouve, finalement, à vouloir utiliser le point médian. Le problème n’est pas totalement résolu avec les mots épicènes à genre indéfini.
4. Les formules englobantes et mots épicènes à genre défini
C’est quoi ?
Il y a un autre outil qui existe, c’est celui des formules englobantes et des mots épicènes à genre défini, cette fois.
Les formules englobantes vont regrouper, au pluriel, les deux genres sous un même mot épicène à genre défini.
Les mots épicènes à genre défini, quand ils sont au singulier, permettent de s’abstraire de la notion de genre. Lorsqu’on parle d’une seule personne, c’est assez facile : on dira « une personne », « un individu », « un être » ou « un membre », par exemple. Ce sont des mots qui sont toujours au même genre donc on n’a pas cette question-là à se poser.
Et, sur les formules englobantes :
- Au lieu de dire « les hommes et les femmes », on pourra dire « les êtres humains » ;
- Au lieu de dire « les malvoyants et malvoyantes », on dira « les personnes malvoyantes » ;
- Au lieu de dire « les développeurs et développeuses », ce sera « l’équipe de développement » ;
- Et pour « les Français et Françaises », « la population française ».
Il y a pas mal de mots qui existent comme ça. On a « individus », « tout le monde », « la direction », « le lectorat », « le peuple ». On a, à priori aussi, « les gens ». Là, c’est une spécificité de la langue française : si l’adjectif est placé avant le mot, il doit être au féminin et s’il est placé après, il sera au masculin. On dira donc « les bonnes gens » et « les gens bons » ; ce qui est un petit peu perturbant. Je ne sais pas trop sur quel pied danser avec ce mot-là. Mais les formules englobantes vont permettre quand même de résoudre un certain nombre de problèmes quand on essaye de communiquer de façon inclusive.
Problème
Le problème avec cette forme-là est que ça ne solutionne pas tous les cas d’usage. Par exemple, pour « les utilisateurs et utilisatrices », j’ai cherché sans trouver une formule englobante neutre et générique qui éviterait la répétition et qui faciliterait aussi les différents accords.
Dans certains cas, évidemment, on pourrait dire « les internautes » si on parle d’utilisateurs et utilisatrices d’Internet. Par contre, c’est un mot épicène à genre indéfini donc on peut dire « un internaute », « une internaute » ; ça ne résout toujours pas les règles d’accord.
(Note d’après conférence : on pourrait également dire « les personnes utilisatrices » dans certains cas mais, pour dire « expérience utilisateur / utilisatrice » ou « tests utilisateurs / utilisatrices », ça ne fonctionne pas tellement non plus.)
5. Le genre neutre (et les néologismes)
C’est quoi ?
Pour résoudre ces problèmes d’accord et, aussi, pour pouvoir nommer en un seul mot (par exemple, pour qu’on puisse avoir un seul mot pour « les développeurs et développeuses »), finalement, il faudrait créer un genre neutre et donc des néologismes, des nouveaux mots. Ce genre grammatical neutre permettrait de nommer les êtres et les choses sans en définir le genre. Ça existait en latin et en grec ancien et, en français, on l’a complètement perdu. Ça consiste globalement à créer des nouveaux mots neutres.
Ce que j’ai pu voir, c’est qu’il y a, à peu près, deux façons de faire (mais je me trompe peut-être là-dessus) :
- J’ai pu voir la fusion des mots dans les formes masculines et féminines ;
- Et, la création de mots à partir de racines linguistiques existantes ou non.
(Note d’après conférence : j’ai oublié d’évoquer la création de nouvelles terminaisons neutres.)
Par exemple :
- On a le pronom « iel » qui a été créé comme pronom neutre pour dire « il ou elle » et qui est la contraction de ces deux pronoms ;
- On a « celleux » pour dire « celles et ceux » ou « celles ou ceux » ;
- « Toustes » pour « tous et toutes » ;
- « Adelphes » pour « frères et sœurs ». C’est un mot qui a été créé à partir de racines existantes grecques ;
- Ou encore, on peut voir, parfois, la fusion des abréviations inclusives : on retire le point médian et ça donne un mot. Par exemple : « utilisateurices ».
Je ne dis pas que c’est forcément satisfaisant ; je dis juste que c’est ce qu’on voit se construire actuellement et ce sont des mots qui sont plus ou moins adoptés dans le langage courant.
Problèmes
Le problème est que, comme j’ai essayé de le faire comprendre, c’est un sujet qui est encore en cours d’expérimentation. Il y a différentes initiatives qui existent (je vous ai mis les liens dans la bibliographie du diaporama) mais il n’y a pas vraiment de consensus pour le moment. Ça viendra, évidemment, puisque la langue évolue selon les usages donc ça se fera forcément petit à petit. Je ne pense pas qu’un jour, on se réveille et puis Pouf ! Un genre neutre est apparu dans la langue française. Ça n’arrivera pas comme ça ; à mon avis, ça viendra vraiment petit à petit. Et, ça nécessitera forcément de s’y habituer. Il y aura un temps d’adaptation.
En tous les cas, on peut déjà voir quelques prises de position. Par exemple, Twitter utilise déjà le pronom « iel ». Quand on va voir un compte Twitter pour voir les listes dont ce compte est membre, le titre de la page est Listes dont iel est membre
. Donc, il n’y a pas de prise de position sur le genre, ici : on utilise un pronom neutre.
6. L’accord de proximité
C’est quoi ?
Et puis, il y a deux outils par rapport à l’écriture inclusive qui vont permettre, quand même, de nous faciliter la vie. Ce sont deux accords.
D’abord, il y a l’accord de proximité qui est vraiment très intéressant puisque c’est une règle logique qui existait déjà jusqu’au 17e siècle. Quand l’Académie française a décidé que le masculin allait l’emporter sur le féminin, cet accord de proximité a disparu mais il était en usage jusqu’alors.
Ça consiste à faire en sorte que le genre du sujet le plus proche du mot à accorder fasse l’accord. Donc, je vais écrire :
- « Les utilisateurs et utilisatrices sont curieuses » ;
- Ou encore « les développeurs et développeuses se sont présentées » (terminaison « ées » au féminin puisque le sujet le plus proche est féminin donc je vais accorder au féminin).
C’est juste un accord qui est totalement naturel. Je me souviens très bien que, quand j’étais petite, j’avais fait cet accord-là de cette façon et on m’a dit Non, c’est le masculin qui doit l’emporter sur le féminin. Donc si tu veux que ça ne te choque pas, tu inverses tes sujets : tu mets le masculin plus proche du mot à accorder et ce ne sera plus choquant
. Sauf que je n’ai plus trop envie de respecter cette règle du masculin qui l’emporte sur le féminin puisqu’elle n’a pas de sens.
Problème
Il n’y a aucun problème avec cette règle ; il faut juste qu’on s’y habitue.
7. L’accord de majorité
C’est quoi ?
On a également l’accord de majorité. On accorde selon le nombre de personnes d’un genre défini. Donc, s’il y a un homme et mille femmes, évidemment, on va accorder au féminin et non pas au masculin puisque ça n’a aucun sens.
Et, en fait, on le pratique déjà dans la langue courante. On dit « les infirmières », « les caissières », « les femmes de ménage », « les sages-femmes », etc.
Par contre, Sud Ouest, dans sa Une du 24 novembre 2019, pour illustrer une manifestation féministe contre les féminicides, met une photo où on voit, à priori, un seul homme et titre Ils crient « Assez ! »
. C’est un peu ridicule ce genre de titre.
Problème
Le seul problème avec cette règle, c’est de pouvoir dénombrer le genre des personnes dans le groupe. Ce n’est pas toujours faisable.
Récapitulatif des différentes formes de l’écriture inclusive
Pour récapituler, les différentes formes de l’écriture inclusive que j’ai relevées (ce n’est pas forcément une liste exhaustive) :
- Les abréviations inclusives, ou l’écriture au point médian, qu’il faut plutôt éviter ;
- L’écriture détaillée ou décomposée ;
- Les mots épicènes à genre indéfini (un même mot peut être des deux genres) ;
- On a les formules englobantes et mots épicènes à genre défini (le mot ne peut être que masculin ou que féminin) ;
- Le genre neutre et les néologismes : c’est un outil qui est encore en construction ;
- L’accord de proximité ;
- Et, l’accord de majorité.
On a quand même un sacré panel pour pouvoir écrire de façon inclusive.
Quelles solutions pour une communication inclusive accessible ?
Finalement, pour une communication inclusive et accessible qu’est-ce qu’il faudrait mettre en place comme solutions ?
J’ai relevé qu’il faudrait des études, des méthodes, des outils et un genre neutre. Je vais y revenir en détail.
Réaliser des études sur l’écriture inclusive au regard de l’accessibilité
Pour avancer sur le sujet en connaissant vraiment tous les enjeux, il faut qu’on mène des études objectives à grande échelle sur les impacts des différentes formes d’écriture inclusive pour les personnes handicapées. Aujourd’hui, il y a des gens qui affirment certaines choses mais, finalement, on n’a pas forcément de preuves pour ça.
Il y a quelques points essentiels que je voulais remonter :
- Il y a une inquiétude sur la complexité des règles d’écriture inclusive sauf que, à priori, libérer les règles d’accord et créer un genre neutre, finalement, ça faciliterait plutôt la tâche ;
- Et puis, pour les gens qui semblent se préoccuper des personnes dyslexiques : ne blâmez pas leur orthographe ! On en voit, parfois, qui disent
oui mais l’écriture inclusive n’est pas accessible aux personnes dyslexiques
. Puis, quand les personnes dyslexiques répondent en disantbah non, moi, je n’ai pas de problème avec ça
, finalement, la personne qui se plaignait de l’écriture inclusive se met à se moquer de la personne dyslexique parce qu’elle a fait des fautes. Donc, elle s’en fiche, en fait, des personnes dyslexiques.
Ne vous servez pas des personnes handicapées pour justifier vos opinions dogmatiques. Assumez-les.
Reformuler pour éviter les termes genrés et l’usage du point médian
Les méthodes qu’on peut utiliser pour écrire de façon inclusive, ou plutôt communiquer de façon inclusive, vont être :
- Reformuler pour éviter les termes genrés et l’usage du point médian. On va utiliser les différentes façons de nommer sans point médian : décomposer le masculin et le féminin, utiliser les termes épicènes et surtout les formules englobantes, utiliser les néologismes neutres. Une fois qu’ils sont bien rentrés dans l’usage, à priori, il n’y a pas de problème ;
- Forcément, on va utiliser les accords logiques pour se faciliter la vie : les accords de proximité et de majorité. On va arrêter de se complexifier l’écriture ;
- Et puis, on va reformuler en contournant le genre. Pour ça, il faut quand même bien maîtriser la langue et j’ai bien conscience que ça peut être difficile pour certaines personnes.
- Par exemple, quand on écrit une phrase qui commence par « Sur un projet où vous êtes seul·e », le mot « seul » peut être au masculin et au féminin. Donc, si on écrit « Sur un projet en solitaire », on a contourné le genre car on n’en a pas besoin ;
- Ou encore : « vous serez amené·es à apprendre ». « Amené » peut être au masculin et au féminin. Si on dit « vous apprendrez », c’est d’autant plus simple et on se fiche totalement du genre, ici.
Exemple de réécriture inclusive accessible
Je vais vous donner un exemple de réécriture inclusive accessible avec une petite phrase du compte-rendu du conseil municipal du 10 juillet 2020 de la ville de Lyon (archive). Ce compte-rendu a fait l’actualité dernièrement et je trouvais ça intéressant.
On a une phrase qui dit :
Les Conseillers municipaux·ales se réunissent pour élire les délégué·e·s de la Ville de Lyon aux élections sénatoriales.
Là, on a trois points médians dans cette phrase et, pourtant, on arrive quand même à écrire « Conseillers » uniquement au masculin donc, c’est un peu un raté.
Je vais vous proposer trois solutions de réécriture.
- On a par exemple :
Les conseillers et conseillères municipales se réunissent pour élire les personnes déléguées de la ville de Lyon aux élections sénatoriales.
Là, l’Académie française criera au péril mortel parce que j’ai utilisé l’accord de proximité. J’ai mis « les conseillers et conseillères municipales » et puis, « délégué·e·s » s’est transformé en « personnes déléguées », formule englobante. Comme ça, je n’ai plus besoin du tout de point médian ici ;
- Il y a une autre solution qui pourrait être d’écrire :
Les conseillères et conseillers municipaux se réunissent pour élire des délégués et déléguées de la ville de Lyon aux élections sénatoriales.
Là, « délégués et déléguées », masculin et féminin, c’est un peu répétitif. On aurait envie, quand même, de le mettre ce point médian ;
- J’ai une troisième solution. On pourrait dire :
Le conseil municipal se réunit pour élire les mandataires de la ville de Lyon aux élections sénatoriales.
Là, en utilisant « le conseil municipal », on utilise une formule englobante qui est neutre. On se moque du genre des personnes et puis, on remplace « délégué·e·s » par « mandataires » qui est un mot épicène. Mot épicène à genre indéfini, ici, mais comme je n’ai pas d’accord à faire dans la suite de la phrase, ça ne pose pas de problème.
Il y a plusieurs façons de réécrire sans utiliser les points médians. Parfois, sur les phrases clés, c’est un peu plus compliqué mais quand on écrit des longs textes normalement, on doit pouvoir trouver des solutions.
Créer des outils pour remplacer les abréviations
En attendant, on a quand même les gens qui vont continuer à utiliser les abréviations inclusives. Ça va être difficile d’arrêter ça donc on peut aussi créer des outils pour remplacer ces abréviations inclusives. Mais, ce serait des outils qui n’invisibilisent pas, à nouveau, les femmes dans la langue sinon ça n’a aucun intérêt.
Par exemple, il y a l’extension de navigateur LÉIA qui a été développée par Ann MB et qui a plusieurs options pour le mode de lecture inclusive.
- On peut remplacer les abréviations inclusives par les mots uniquement au féminin, ou uniquement au masculin, ou bien les deux ;
- Et, il y a une option qui est intéressante : celle qui permet de styliser les terminaisons inclusives. Par exemple, sur le mot « imprimeur·euse », la terminaison « ·euse » va être mise en avant. Là, elle est surlignée en jaune. Ça permet de faciliter la lecture. C’est une option qui a été demandée par des personnes dyslexiques, justement, qui ne voulaient pas supprimer les abréviations.
Les limites de ce genre d’outil :
- Évidemment, ça ne fonctionne que pour le numérique. Sur les documents papier, ça ne marche pas ;
- C’est difficile à mettre en place parce qu’il n’y a pas de consensus réel sur la façon d’utiliser les abréviations. Forcément, les algorithmes à réaliser peuvent donc être assez complexes. Yannick reviendra un petit peu sur le sujet des lecteurs d’écran par rapport à ça ;
- C’est une solution qui est provisoire parce que, pour moi, le point médian, les abréviations inclusives, c’est une transition vers, finalement, le genre neutre.
Avancer pour un genre neutre
Sans genre neutre, le point médian restera, dans tous les cas, un palliatif.
Créer un genre grammatical neutre, évidemment, comme je le disais, ça ne se fera pas tout seul mais ça permettrait :
- Aux personnes non-binaires de s’identifier dans la langue française ;
- D’éviter de mégenrer les gens dont on ne connaît pas le genre et d’éviter de catégoriser quand c’est inutile. On n’a pas toujours besoin d’évoquer le genre des personnes ;
- De simplifier certaines choses puisque si on neutralise les règles d’accord : on se dit qu’on accorde tout au neutre, finalement, c’est beaucoup plus simple. Si on invente un genre neutre pour les noms de métiers et fonctions, on pourrait nommer tout le monde. Et, on pourrait également faire en sorte que les tournures masculines qui n’ont pas de raison d’être masculines deviennent neutres. Par exemple, dans « il y a », « lui dire », « je le suis », « c’est beau » : pourquoi c’est masculin tout ça ? On ne sait pas.
- D’écrire et de parler plus facilement notamment dans la spontanéité. Quand on fait des réunions avec les collègues, par exemple, ce serait beaucoup plus facile pour communiquer.
Conclusion
- L’écriture inclusive ne se résume pas au point médian ;
- L’écriture inclusive elle-même ne pose à priori pas de problème d’accessibilité. Les abréviations inclusives, par contre, en posent. On va donc éviter de les utiliser. Mais, il faut arrêter de dire que l’écriture inclusive pose des problèmes d’accessibilité ;
- De toute façon, on évolue déjà vers une communication inclusive aussi bien écrite que parlée et c’est une bonne chose ;
- Donc, personne ne pourra bannir l’écriture inclusive elle-même. Par contre, on peut avancer sereinement vers des solutions qui conviennent à tout le monde.
Je vais finir sur une note positive : la communauté francophone de WordPress a récemment modifié les traductions pour l’administration des sites faits avec WordPress. Maintenant, c’est écrit de façon inclusive et sans point médian. C’est vraiment une grande avancée. Je trouve ça vraiment cool ! C’est arrivé juste quand j’étais en train de préparer ma conférence. Je me suis dit que c’était parfait pour une conclusion.
Voilà, je vous remercie et vous retrouverez mon diaporama sur jetdv2020.lalutineduweb.fr.
Je vais laisser la parole à Fernando.
Transition de Fernando vers la conférence de Yannick
— Fernando : Tout grand merci, Julie, pour cet exposé brillant, ramassé et mené de main de maîtresse. Merci vraiment beaucoup, sincèrement, pour la qualité de la synthèse et la teneur du propos.
Je propose, effectivement, qu’on vienne maintenant avec Yannick sur les écueils que tu pointais concernant les lecteurs d’écran. Yannick, toi qui baigne dans le code source, notamment de certaines extensions pour NVDA et, compte-tenu des problèmes qui étaient posés sur la façon que pouvaient avoir les lecteurs d’écran de gérer certains types d’écriture inclusive, est-ce que tu saurais nous éclairer techniquement sur ce qui serait possible d’espérer avec un lecteur d’écran, avec les voix de synthèse utilisées dans les lecteurs d’écran ou pas ? Est-ce que tu pourras nous apporter – je sais que tu le peux – un éclairage technique sur ces questions-là ? Peut-être aussi en rappelant, au passage, le fonctionnement des lecteurs d’écran ? Peut-être que certains d’entre nous ne sont pas autant au fait de comment la chose fonctionne.
Conférence de Yannick Plassiard : abréviations inclusives et lecteurs d’écran
— Yannick : Je peux !
— Fernando : Merci !
— Yannick : Et bonsoir à toustes évidemment, à nos auditeurs point médian rices. Ça fait vingt minutes que je bosse cette phrase donc j’espère qu’elle était correcte. Julie, tu n’hésiteras pas à me dénoncer sur Twitter si ce n’était pas le cas.
Donc, oui, je peux effectivement rappeler d’abord très brièvement ce qu’est un lecteur d’écran.
Qu’est-ce qu’un lecteur d’écran ?
Le principe est assez simple, au final, même si la mise en œuvre est complexe. Il y a du texte qui est affiché sur un écran et, ce texte doit être retranscrit oralement par le biais d’une synthèse vocale et aussi, tactilement, par le biais d’afficheurs braille connectés, si jamais il y en a.
Comment ça fonctionne ? Tout simplement, il y a plusieurs choses qui interviennent dans ce processus de retranscription de texte. Mais, à un moment donné, on va avoir une partie du lecteur d’écran qui va se charger d’extraire le texte à retransmettre d’une partie de l’écran. Bien souvent, ça va être la partie sur laquelle est le curseur, très simplement, ou sur laquelle est ce qu’on va appeler le « focus » (promis, c’est le seul terme technique pénible que j’emploierai). Ce texte-là, une fois qu’il a été extrait, va être nettoyé, enrichi, simplifié possiblement. Bref, il va subir quelques petites transformations avant d’être envoyé à un pilote de synthèse vocale qui, lui, va se charger du boulot de le retransmettre en son. Voilà, ça c’était pour le schéma rapide de ce qu’est un lecteur d’écran.
Les possibilités d’action sur les textes avec les lecteurs d’écran
On va s’intéresser à la partie polissage, à la partie nettoyage puisque c’est à ce moment-là qu’on peut envisager que certaines extensions, certains petits bouts de logiciels soient adjoints au lecteur d’écran dans le but de faire du nettoyage supplémentaire ; des choses que le lecteur d’écran n’a pas prévu.
Exemple : une extension NVDA pour la traduction automatique des textes via le lecteur d’écran
Par exemple, pour les utilisateurs et utilisatrices du lecteur d’écran NVDA, libre et gratuit sur Windows, je vous le rappelle. Si jamais vous ne l’utilisez pas allez-y, foncez ; ce lecteur d’écran est génial. Bref, ça, c’était le côté pub…
Pour les personnes utilisant ce lecteur d’écran, vous n’êtes peut-être pas sans savoir qu’il existe, depuis quelques temps, des extensions qui se proposent de, notamment, traduire du texte dans une langue autre que la langue utilisée par le lecteur d’écran et donc utilisée par vous-mêmes, utilisateurs et utilisatrices de ce lecteur d’écran.
Imaginez, par exemple, que vous vous retrouviez par hasard sur un site web en allemand et que, manque de bol, vous n’avez pas fait allemand première langue. Ça peut arriver, tout le monde fait des erreurs. Bref, vous pourriez utiliser des extensions de traduction. De la même manière que votre navigateur peut le faire, votre lecteur d’écran pourrait le faire aussi. Ces extensions existent. Il y en a notamment une qui s’appelle « Yandex translate » qui permet de faire le boulot très très bien et qui permet ainsi de traduire n’importe quoi dans n’importe quelle langue. C’était l’exemple de la traduction.
Et si on faisait pareil pour les abréviations inclusives dans une extension NVDA ?
On pourrait imaginer une extension qui fasse à peu près la même chose pour l’écriture inclusive. De la même manière que l’extension pour navigateurs LÉIA dont Julie a parlé précédemment, on pourrait imaginer que, lorsque NVDA rencontre un mot qui contient un point médian, NVDA puisse décider, en suivant vos choix, d’accorder ce mot au masculin, au féminin ou de mettre les deux mots possibles. Par exemple, en mettant « les utilisateurs/utilisatrices » ou « les utilisateurs et utilisatrices », en admettant que le mot initial soit « utilisateur·rices ». Ce serait possible.
Toutefois, ça pose un problème qui se résume en quatre mots : l’ordinateur est stupide. Malheureusement, on a beau nous vendre tout ce qu’on veut concernant l’intelligence artificielle, un ordinateur reste stupide. Il n’a pas de moyen d’analyser sémantiquement une phrase, c’est-à-dire qu’il n’a pas de moyen de faire de la détection de masculin / féminin sur des mots, d’en extraire un sens. C’est quelque chose que l’ordinateur ne sait pas faire et qu’il ne saura pas faire avant un sacré paquet d’années, si vous voulez mon avis.
Alors, qu’est-ce qu’il nous reste ? Il nous reste des alternatives, des petites alternatives du genre des petites extensions qui vont repérer les points médians et, ensuite, décider.
Si jamais, par exemple, on a un mot qui s’écrirait « les utilisateurs·rices », on pourrait envisager qu’un algorithme se charge de remplacer la fin du mot « utilisateurs » par la fin de ce qu’il y a après le point médian, avec les risques que, si jamais quelqu’un, un jour, s’amuse à mettre des tirets au lieu d’un point médian, ça ne marche plus. Parce que si on se sert du point médian comme séparateur (on va appeler ça comme ça) et qu’on change le séparateur, ça ne marche plus. Du coup, l’algorithme est cassé.
Un autre exemple : on a des mots qui peuvent être à la fois au singulier, au pluriel, au masculin et au féminin et ça devient encore plus compliqué. Parce que comment savoir si on veut du masculin singulier ou du féminin pluriel ou les deux ? Qui sait ? Ça devient assez compliqué.
Et les autres lecteurs d’écran, que peut-on faire avec ?
Là, je vous parle de NVDA depuis tout à l’heure c’est-à-dire le meilleur des mondes. Pourquoi le meilleur des mondes ? Parce que NVDA, et JAWS dans une très moindre mesure (on pourrait envisager d’avoir quelque chose de similaire aussi même si c’est beaucoup moins évident à faire), sont ce qu’on appelle « scriptables » c’est-à-dire qu’ils permettent de charger des extensions, des petites choses complémentaires, pour faire des actions qui ne sont pas prévues à la base.
Maintenant, passons de l’autre côté de la barrière et allons voir du côté de VoiceOver qui est le lecteur d’écran de MacOS, d’iOS et de tous les écosystèmes et systèmes d’exploitation fournis par Apple. Ces lecteurs d’écran ont la particularité de ne pas être personnalisables, en aucune façon, sur n’importe quel système. Vous ne pouvez pas créer une extension qui va modifier le comportement de ce lecteur d’écran, VoiceOver, que ce soit sur Apple MacOS ou sur iOS ou sur TVOS ou sur votre montre Apple Watch. Bref, il n’est pas possible de créer cette extension.
Et du coup, que faire ? Parce que, là, je parle de VoiceOver. Vous allez me dire que je suis pro-Windows et contre la marque à la pomme. Mais, en restant dans l’environnement Windows, le lecteur d’écran de Windows, parce qu’il y en a un : le Narrateur, lui non plus n’est pas personnalisable, en aucune façon. On se retrouverait donc embêté exactement de la même manière.
Ça suppose que si jamais une telle extension était développée pour NVDA, les utilisateurs de JAWS, eux, ne pourraient pas, malheureusement, profiter de cette extension à moins que quelqu’un ne développe celle-ci pour JAWS. Et puis, vous avez suivi mon propos, j’imagine : pour le Narrateur et pour VoiceOver, c’est encore pire. J’ai parlé de VoiceOver mais, Talkback, c’est la même histoire pour Android. Du coup, pas d’extension. Pas de solution. Merci, au revoir, vous restez sur le banc de touche et, tant pis pour vous.
Alors, on fait quoi ?
Quand il n’y a pas de problème, il n’y a pas de solution
Vous me direz : comment résoudre ça techniquement ? Il y a un petit proverbe en informatique qui est assez connu, et qui d’ailleurs n’est pas l’apanage de l’informatique, mais qui dit à peu près ceci : « quand il n’y a pas de problème, il n’y a pas de solution ». Ça veut dire que si on s’arrange pour écrire des formules en langue française ne faisant pas intervenir un genre pour définir des personnes ou des objets, s’il n’y a donc pas de genre, il n’y a pas de question à se poser pour savoir comment masculiniser ou féminiser un genre qui, de toute façon, n’existe pas. L’utilisation de quelque chose de non genrée va permettre, effectivement, de résoudre cette problématique par une absence de résolution de cette problématique puisqu’elle n’existe pas. C’est encore la chose la plus simple. C’est à peu près tout ce qu’on peut dire.
Créer quand même une extension. Mais, et le braille ?
Évidemment, quand on a dit ça, on a tout dit et on n’a rien dit. Parce que comment faire de l’inclusif maintenant qu’on commence à voir apparaître du point médian un petit peu partout ? Il va falloir créer des extensions, des outils pour ça. Pour NVDA, j’ai bon espoir. Je ne vais pas m’engager personnellement parce que, la dernière fois que je l’ai fait, c’était en 2004 et les gens attendent encore. Je plaisante mais c’est presque ça.
Créer une extension NVDA qui fait ça n’est pas extrêmement compliqué. Du moins, ça doit pouvoir se faire assez simplement même si ça suppose aussi des choses. Comment faire ? Là, on parle de vocal pour l’instant, c’est-à-dire avoir « les utilisateurs·rices » remplacé par « les utilisatrices », quelque chose comme ça. Mais il ne faut pas oublier aussi qu’il y a une notation en braille avec les lecteurs d’écran. Alors comment ça va se passer si vous remplacez ça ? Vous avez une notation en points médians et vous devez non seulement remplacer ça en braille avec ce qui va bien en termes de mot masculin / féminin mais aussi, si jamais votre utilisateur ou utilisatrice décidait, par un curieux hasard, d’adorer le braille abrégé ? Je vous laisserai méditer là-dessus. Me concernant, c’est une problématique à laquelle je n’ai pas forcément de réponse actuellement. Mais techniquement, tout est faisable (pour terminer quand même sur une note un petit peu positive). Mais, comme pour tout, il faut trouver le temps et des gens qui ont suffisamment de temps et de volonté pour pouvoir développer ces extensions.
Si jamais, évidemment, vous avez des questions plus techniques ou plus détaillées sur le sujet, n’hésitez pas à les poser.
Je terminerai en faisant un tout petit aparté mais qui, à mon sens, prend justement tout son sens… Je n’en peux plus de voir des « Recherche développeurs H/F ». Par pitié, pour ceux qui seraient parmi vous dans l’enseignement ou ceux qui parmi vous seraient en études et qui se tâteraient pour savoir quelle voie emprunter, par pitié, devenez développeuses, devenez ingénieuses. On a grand besoin de vous, mesdames, pour essayer de moderniser un petit peu – ça ferait l’objet d’un autre débat – les métiers de l’informatique qui en ont grand besoin.
Les questions
— Fernando : Merci beaucoup Yannick ! On va maintenant passer directement aux questions. Je vois qu’on est un tout petit peu sur la limite du temps. Je me tourne d’ailleurs rapidement vers les transcriptrices, qui font ce travail remarquable de sous-titrage avec nous aujourd’hui, pour leur demander s’il est possible de prolonger légèrement au-delà du temps fixé, si ça ne pose pas de problème particulier.
— Florie : Oui oui, bien sûr. Allez-y, continuez.
— Fernando : C’est très gentil à vous, merci beaucoup. Pascale, je vais te laisser la main. J’imagine qu’il doit y avoir des questions sans doute, des remarques peut-être ?
— Pascale : Pas vraiment sur le tchat. En revanche, j’ai été passionnée par la présentation de Julie. J’avoue que j’ai beaucoup appris sur l’écriture inclusive. Pour moi, ça se limitait un petit peu au fameux point médian qu’on lit un petit peu partout. Et donc, j’ai trouvé que c’était très instructif de nous montrer comment on pouvait finalement communiquer en écriture inclusive. Mais j’avais une question : aujourd’hui, dans tout ce que Julie nous a exposé comme solutions, qu’est-ce qui est réellement officiellement autorisé ? Par exemple, en termes d’orthographe, l’accord de majorité ou l’accord de proximité, je suppose qu’il n’est pas encore validé ?
— Julie : Validé, par qui ? C’est, à priori, l’Académie française qui détient les rênes. Et, quand on lui parle d’écriture inclusive, elle dit que c’est un péril mortel. C’était ma petite vanne de tout à l’heure. Du coup, avec l’Académie française qui, en plus, ne contient aucune personne linguiste dans ses rangs, il ne risque pas trop d’y avoir d’avancée pour le moment. Par contre, on sait que c’est l’usage qui fait la langue et donc si certaines formulations sont beaucoup utilisées et deviennent vraiment des normes d’usage, finalement, il n’y aura plus trop le choix que de les intégrer. Les accords de proximité et de majorité, je les pratique mais je ne suis pas dans un contexte scolaire où il y a des profs qui vont me noter et dire Non, ça, t’as pas le droit
. J’ai le droit puisque je ne suis plus dans ce système scolaire-là. Mais, par contre, pour les élèves, effectivement, ce n’est pas encore possible d’utiliser ça. Évidemment, ce sont encore des choses qui sont en questionnement et qui sont amenées à évoluer dans tous les cas.
— Pascale : On aurait presque regretté Alain Rey qui, justement, lui, prenait plutôt l’usage pour faire bouger les lignes.
— Julie : Oui, c’est ça. C’est vraiment l’usage qui va faire bouger les lignes. Et si les gens comprenaient que l’écriture inclusive, ce n’est pas juste l’écriture au point médian, que quand on dit « Françaises, Français » ou « Français, Françaises », c’est du parlé inclusif, on aurait déjà fait une grande avancée.
— Pascale : Sinon, je m’interrogeais, comme l’a dit Yannick, pour les lecteurs braillistes. C’est vrai que je n’ai pas vraiment eu l’occasion de lire en braille abrégé des textes avec beaucoup d’écriture au point médian. Je ne sais pas si toi, Fernando, ou Yannick, vous avez eu l’occasion d’avoir sous les doigts ce type de texte ? Parce qu’effectivement, dès qu’on commence à travailler en braille abrégé, j’imagine que ça peut faire des choses un peu curieuses ?
— Fernando : C’est sûr que dès qu’on active le braille abrégé, ça donne des expressions qui, en plus, sur des petits afficheurs braille, peuvent être un peu problématiques.
La question, on en revient toujours au même, c’est de pratiquer une écriture inclusive qui ne passe pas par ces problèmes de points médians. Je reprends ce que disait Yannick tout à l’heure : pas de problème, pas de solution. Mais on voit bien, en tout cas, dans les propos qui ont pu être tenus aujourd’hui : ce n’est pas l’écriture inclusive qui n’est pas accessible ; c’est l’utilisation d’une certaine forme particulière qui va poser un certain nombre de problèmes. Et c’est peut-être là, en tout cas pour ma part, la conclusion à laquelle, je crois, on en arrive tous ce soir : c’est se dire que, finalement, il y a moyen d’écrire inclusif sans pour autant que ça ne pose de problème d’accessibilité. C’est même sûrement une position un peu plus nuancée que de faire dire aux personnes en situation de handicap que l’écriture inclusive leur est inaccessible. C’est en tout cas comme ça que je le résumerais.
— Pascale : Mais en écoutant l’exposé de Julie, je me dis réellement que l’écriture inclusive, c’est carrément remettre en place un certain mode de pensée. Ça va très au-delà de ce qu’on peut écrire et comment on peut l’écrire. Effectivement, depuis tout petits, on nous a dit qu’il suffit qu’il y ait un homme dans un groupe pour que le masculin l’emporte. Ça va nous faire un joli sujet de réflexion pour la soirée.
Un grand merci à Sophie Drouvroy pour sa relecture !
Petit aparté : si vous vous préoccupez du sort des personnes handicapées, n’oubliez pas de signer cette pétition sur le site de l’Assemblée Nationale ;-)
J’ai eu l’idée de remplacer le point médian par un point souscrit sous le e. Ça permet d’éviter une coupure graphique dans le mot et ça fonctionne beaucoup mieux avec le lecteur d’écran de Microsoft. Par exemple :
« Les étudiantẹs anglaisẹs sont arrivéẹs en avance. »
« Ma voisinẹ est allemandẹ. »
Ça ne change rien au problème, fondamentalement. En effet, on a toujours des problèmes de compatibilité. Par exemple, NVDA ne lit pas du tout ce caractère donc la deuxième phrase donne « Ma voisin est allemand ». Or, l’idée n’est pas, qu’avec un lecteur d’écran, tout soit au féminin ou au masculin mais que ce soit inclusif de la même façon. Tout le monde doit avoir un accès égal au contenu, à l’information et à l’intention dans la façon d’écrire (sauf si la personne fait une configuration spéciale qui lui est propre dans ses outils). Et visuellement, c’est très peu visible (j’ai l’impression qu’il y a des poussières sur mon écran) donc, je lis tout au féminin.
Peu importe le caractère utilisé, on aura toujours la difficulté de parler spontanément de façon inclusive avec ce système d’abréviations. Selon moi, ce n’est vraiment pas la solution.
Je trouve ta solution élégante Guilhem, qui rejoint pour moi ce genre d’expérimentation plutôt de l’ordre de la typographie.
https://www.traxmag.com/etudiant-typographie-ecriture-inclusive/
Mais comme le dit Julie, effectivement ce n’est pas vraiment le problème ici… le problème c’est l’accessibilité, et notamment numérique !
Ahah je m’attendais à ce qu’on me parle de cette typographie qui, comme tous les systèmes d’abréviations, ne s’attache pas à résoudre le fond du problème : tous les mots dont on a besoin n’existent pas encore. Elle n’est pas inclusive car elle posera des difficultés de lecture et, pour les lecteurs d’écran, ce seront encore de nouveaux caractères non prononcés voire imprononçables. De plus, elle ne permet pas de résoudre le problème à l’oral. Je pense que les gens pensent trop « écriture inclusive ». Si on pensait « communication inclusive » de façon plus générale, on sortirait de ce genre d’idées graphiques qui posent des problèmes d’accessibilité. ;-)
Hyper intéressant comme article, merci pour ça ! Ça fait aussi reconsidérer l’écriture inclusive comme étant bien plus vaste que ces points médiants, c’est cool :D
Du coup je me demandais, est-ce qu’on sait si les lecteurs d’écrans ont aussi du mal avec des mots-fusions, du style « imprimeureuse », ou « fièr » ?
En tout cas, ça fait plaisir de voir des réflexions sur le sujet, en tant que personne non-binaire, pouvoir parler d’une façon la plus neutre possible c’est important pour moi, mais j’ai pas envie pas que ça se fasse au détriment de l’accessibilité.
Hâte qu’un genre neutre fasse doucement mais sûrement son apparition, l’évolution du langage c’est grave intéressant ! C:
Bonjour Kiou,
Merci pour ton retour !
À priori, pour les mots-fusions, tant qu’ils sont prononçables, il n’y a pas de soucis sur la prononciation d’un lecteur d’écran non plus. Pour tout le monde (et particulièrement les personnes qui lisent plus difficilement), ça peut « juste » être plus difficile à comprendre parce que ce ne sont pas des mots qu’on rencontre de façon habituelle. Cette difficulté n’est pas encore mesurée donc on ne sait pas l’ampleur de l’impact. J’imagine que c’est la même chose que pour les autres nouveaux mots mais je peux me tromper.
Merci pour ces éclaircissements et cette manière très structurée et drôle de traiter de l’écriture inclusive tout en prenant en considération les personnes qui seraient ou sont handicapées par sont utilisation.
En tant que personne dyslexique, je trouve toujours très ironiquement amusant que l’on utilise les dyslexiques pour critiquer l’écriture inclusive en langue française. Comme le billet du REHF le souligne : « la complexité de la langue française pour les dyslexiques (causée, en partie, par son opacité, c’est-à-dire par sa non-correspondance entre orthographe et phonologie) est une question qui doit être traitée dans son ensemble, et non pas à l’aune de l’écriture inclusive. Chercher à rendre la langue française accessible aux personnes dys est un travail qui, d’une part, mérite tout notre intérêt et, d’autre part, ne doit pas servir à évincer d’autres réformes linguistiques, telles que l’écriture inclusive, permettant de lutter contre d’autres discriminations, en l’occurrence le sexisme ». https://efigies-ateliers.hypotheses.org/5274
Je trouve que c’est aberrant et cynique que l’on utilise l’argument d’accessibilité à l’écriture alors que la langue française est une des langues des plus compliquées pour les dyslexiques.
Merci MGX pour ce commentaire !
Je suis totalement d’accord avec vos propos et la citation sur la complexité de la langue française. D’ailleurs, connaissez-vous cette très bonne conférence « La faute de l’orthographe » d’Arnaud Hoedt et Jérôme Piron ? Je la trouve merveilleuse pour prendre conscience de ce sujet !
Excellente vidéo merci j’adore !